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la république des pyrénées
Au Pakistan, la quasi-impunité reste la norme pour les meurtriers et agresseurs de femmes
Article mis en ligne le 30 mai 2022
dernière modification le 29 mai 2022

Quand Qandeel Baloch, jeune star des réseaux sociaux, a été étranglée par son frère pour avoir osé narguer les moeurs conservatrices du Pakistan à l’égard des femmes, ces dernières se sont battues pour que les crimes "d’honneur" soient plus sévèrement punis.

Mais la libération en février du meurtrier, moins de trois ans après son incarcération, illustre à quel point l’ensemble du système judiciaire pakistanais reste biaisé en faveur des hommes, qui peuvent presque impunément brutaliser, violer ou tuer des femmes.

La superposition de différents systèmes judiciaires, remplis de failles, au sein d’une société profondément patriarcale, rend très improbable que les victimes de violences sexuelles puissent se faire entendre, selon des militantes, avocates et survivantes contactées par l’AFP.

Pour une femme, le processus judiciaire dans son ensemble "est structuré de telle manière qu’il est très difficile d’obtenir justice", estime Nayab Gohar Jan, une défenseure des droits des femmes.

"Ajoutez à cela la pression sociale et la stigmatisation, et vous voyez que tout se ligue clairement contre elles", ajoute-t-elle. (...)

Le Pakistan figure au 153e rang sur 156 de l’indice mondial de l’écart entre les sexes du Forum économique mondial en 2021.

Le meurtre en 2016 de Qandeel Baloch, qui avait fait scandale par ses tenues et poses provocatrices, a eu un énorme retentissement. Son frère, Muhammad Waseem, s’est vanté de l’avoir étranglée, en raison de son "comportement intolérable".

L’onde de choc a poussé le gouvernement à introduire une nouvelle législation punissant plus sévèrement ces crimes et empêchant les familles d’absoudre les assassins ou de s’accorder avec eux sur une compensation financière, appelée "prix du sang".

Muhammad Waseem avait été condamné à la prison à perpétuité en 2019. Mais ses avocats ont profité d’une faille dans la loi en appel. (...)

Les avocats et militants féministes mettent sur le compte de la mentalité encore toute patriarcale des juges et du manque de femmes avocates ce genre de décision. (...)

L’avocate Nida Usman Chaudhary, qui a fondé un collectif de juristes femmes, estime que les juges masculins font souvent preuve de partialité dans les affaires de crimes "d’honneur".

"Dossier après dossier, la Cour suprême a développé une défense entière (...) pour garantir l’impunité de la personne accusée", considère-t-elle.

Poignardée à 23 reprises par un ancien petit ami, Khadija Siddiqi explique que son dossier a été tellement retardé qu’elle "était sur le point d’abandonner".

Son agresseur a été condamné, acquitté en appel, recondamné par la Cour suprême et enfin libéré de manière anticipée pour bonne conduite. (...)

Les accusations sont considérées comme ne devant pas sortir du cercle familial et les victimes sont regardées avec suspicion.

Ce genre d’attitude est partagé jusqu’au sommet de l’Etat. (...)

L’influence des réseaux sociaux est un contrepoids à l’inertie de la police et de la justice. Mais elle reste limitée aux dossiers les plus médiatiques. (...)

Au Pakistan, le système judiciaire, inspiré du modèle britannique, intègre aussi certaines interprétations de la loi islamique, en particulier pour les violences sexuelles et les litiges familiaux.

Dans les zones rurales, les femmes n’ont souvent même pas droit à un procès. Elles sont soumises à la justice traditionnelle, rendue par des conseils villageois composés de sages - toujours des hommes - qui n’hésitent souvent pas à ordonner des mauvais traitements à leur égard au nom du respect de "l’honneur".

Si ces tribunaux offrent l’avantage de régler rapidement les affaires, les femmes ne peuvent faire appel du jugement.

L’influence des religieux les plus conservateurs se fait aussi sentir. (...)

En début d’année, la nomination d’une première femme juge à la Cour suprême, Ayesha Malik, a été perçue comme un signal positif.

L’an passé, elle avait fait interdire au Pendjab un test de virginité, appelé sous sa forme la plus commune test des "deux doigts", qui est censé permettre d’éclairer le passé sexuel des victimes de viols.

Une nouvelle législation sur le viol, qui prévoit notamment la création de tribunaux dédiés, est aussi entrée en vigueur.

Celles qui ont affaire au système paient toutefois le prix lourd. (...)