
« Moi je ne suis pas d’accord du tout avec la destruction », prévient d’une voix douce mais ferme João Fernandes. Ce retraité du bâtiment fait visiter avec une certaine fierté l’appartement où il a passé trente-deux ans de sa vie et qu’il est donc bien décidé à ne pas quitter.
Au nom de la « mixité sociale », son immeuble, comme six autres barres du quartier de la Reynerie au Mirail, un quartier populaire de la métropole toulousaine, est pourtant promis à la démolition.
Une nouvelle étape de la rénovation du quartier qui prévoit encore la destruction de 961 logements. (...)
L’archétype du quartier synonyme de ghettoïsation et d’insécurité pour lesquels a été créée, il y a vingt ans, l’Agence nationale de la rénovation urbaine (Anru), qui a entrepris de faire disparaître à coups de pelleteuses ce modèle urbanistique jugé dépassé.
Depuis le début du programme de rénovation urbaine en 2013, plus de 2 000 logements ont déjà été détruits. (...)
Le projet de l’Anru, soutenu par la métropole, prévoit la construction de 971 logements neufs disséminés dans des petits immeubles ou des maisons individuelles, plus conformes, selon elle, à la demande actuelle.
Il se heurte pourtant à la mobilisation déterminée d’un collectif d’habitants et d’architectes qui luttent contre ce qu’ils considèrent comme « un immense gâchis ».
Rénové à deux reprises ces dernières années, l’immeuble où vit João est en parfait état et les habitants rencontrés disent s’y sentir bien. « Regardez, le double vitrage a récemment été installé », observe Michel Retbi, qui fait partie du collectif d’architectes qui s’oppose à la démolition des bâtiments de la Reynerie et s’offusque du projet de l’Anru.
« Cette architecture a longtemps été considérée comme une architecture d’avant-garde, rappelle l’architecte. Les appartements ici sont traversants, ce qui permet une excellente ventilation. L’exposition est optimale et les bâtiments ont une très bonne structure, avec une grande inertie thermique. Ils ont résisté à l’explosion d’AZF quand beaucoup d’autres ont dû être rasés. » (...)
Le collectif d’architectes qui s’est constitué défend une réhabilitation des immeubles de ce coin du Mirail plutôt que leur destruction, citant en modèle notamment les réalisations de Jean-Philippe Vassal et Anne Lacaton, prix Pritzker 2021, considéré comme le Nobel d’architecture. (...)
Ces architectes, soutenus par un collectif d’habitants, demandent un moratoire sur le projet de l’Anru et l’organisation d’un concours pour « réhabiliter le quartier sans démolir ».
Une aberration écologique et sociale
Il pointe aussi l’aberration écologique d’un tel projet, tant le coût d’une démolition/reconstruction est lourd en termes de CO2, comparé à une réhabilitation même importante. Le projet de l’Anru prévoit aussi de couper 780 grands arbres, une folie au regard des dérèglements climatiques. Et un bras d’honneur aux objectifs du Zéro artificialisation nette (ZAN) fixés par la loi Climat et résilience en 2021, puisque, dans ce projet, 36 000 m2 de terrain vont être artificialisés. (...)
Les promesses d’amélioration du quartier faites lors des premières destructions à la Reynerie ont souvent fait long feu. « Les dealers n’ont pas disparu parce qu’on a détruit des immeubles. Les immeubles n’ont rien à voir avec ça », souligne João. (...)
Pour François Piquemal, le projet est d’autant plus absurde que la demande de logements sociaux a explosé à Toulouse (...)
Un des grands problèmes de la rénovation urbaine est aussi qu’elle se fait bien souvent, comme à la Reynerie, au mépris de l’avis des habitants, avec des consultations publiques qui relèvent bien souvent de la parodie. (...)
Lors d’une réunion organisée pour présenter le projet de rénovation du quartier, « un homme s’est levé pour dire qu’il voulait rester dans son logement », raconte Sadia. « On lui a répondu : “Non, ça, ce n’est pas à la discussion.” On avait juste le droit de faire trois vœux de logement pour partir. » Une de ces réunions concernant l’avenir du quartier s’est d’ailleurs déroulée au moment du troisième confinement, sans que cela n’ait l’air de gêner personne. (...)
Alors que le prix du foncier dans ce quartier, situé à vingt minutes de métro du Capitole, vaut potentiellement de l’or et attise les appétits des promoteurs immobiliers, les habitants du Mirail ont le sentiment d’être chassés d’un lieu où ils ont construit au fil des années toute leur vie. (...)
Les habitants rencontrés à la Reynerie parlent tous des sociabilités du quartier attaquées par ces destructions successives. « C’est l’entraide entre les habitants qui disparaît avec ces démolitions. Tout un tissu de solidarité qu’on efface », regrette Jean-Louis, avant de conclure : « Nos vies comptent, nos histoires comptent. »