
Comment cheminent les informations sur les atteintes à la laïcité à l’école, une fois transmises par les chefs d’établissement ? À Brest, moins de 24 heures ont été nécessaires pour qu’un incident mineur avec un lycéen musulman, dispensé d’intervenir en stage dans une église, arrive aux oreilles du renseignement territorial.
L’incident aurait pu rester un incident. Lundi 12 juin, un élève en CAP maçonnerie d’un lycée professionnel brestois, dans le Finistère, devait participer, dans le cadre d’un stage au sein d’un service municipal, à l’observation technique d’une fissure dans une église. Se présentant comme de religion musulmane, l’élève est interrogé par son maître de stage pour savoir s’il est à l’aise avec cette idée, le jeune homme dit sa gêne, avant d’être finalement dispensé d’assister à la visite.
Alertée de son absence, l’équipe pédagogique du lycée a un échange téléphonique, au cours de la même journée, avec l’élève concerné, reconnu comme sérieux et à l’écoute, pour comprendre et lui expliquer le rôle de l’État dans la réfection des bâtiments religieux, ce qui permet de dénouer l’affaire. La proviseure de l’établissement décide cependant de rédiger un « fait établissement » pour « atteinte à la laïcité » qu’elle transmet dans la soirée à sa hiérarchie, l’inspection académique du Finistère.
Le jour suivant, dans la matinée, Olivier Cuzon, professeur de physique-chimie dans le même lycée, mais également secrétaire départemental du syndicat Sud-Solidaires, reçoit un appel d’un policier des renseignements territoriaux. Il est fréquent, explique ce syndicaliste, que les agents du renseignement viennent ainsi « à la pêche aux infos ». (...)
Depuis, Olivier Cuzon ne cesse de questionner « ce canal ouvert, manifestement jour et nuit », entre l’Éducation nationale et la préfecture, d’autant que la cheffe d’établissement elle-même a mentionné devant ses collègues découvrir un tel cheminement. « Ces signalements, on les fait pour que notre institution se rende compte des réalités du terrain, pas pour alimenter les fichiers de police », s’insurge le syndicaliste.
Sollicitée, la proviseure nous a renvoyé vers le rectorat de l’académie de Rennes, dont dépend ce lycée professionnel. Le rectorat nous a renvoyé vers le ministère, qui rappelle que, depuis 2015, « tous les personnels de l’Éducation nationale et plus particulièrement les chefs d’établissement » ont été sensibilisés à la nécessité de faire remonter tout incident pouvant constituer « un signal faible susceptible de révéler un risque de radicalisation ».
En effet, comme nous le racontions dans cet article, depuis un peu moins de dix ans, les gouvernements successifs ont mis en place un dispositif de surveillance reposant sur un maillage étroit du territoire et imposant aux acteurs locaux – collectivités locales, Éducation nationale, acteurs sociaux et associatifs – leur collaboration dans la remontée des fameux « signaux faibles ». (...)
Sans répondre précisément à nos questions sur le cas brestois, le ministère estime que « l’évaluation de la situation n’est ensuite pas de la compétence des services de l’Éducation nationale » et qu’elle nécessite la coordination des différents services de l’État au sein des cellules de prévention de la radicalisation et d’accompagnement des familles (CPRAF). Est-ce à dire que toutes les « atteintes à la laïcité », quelle que soit leur gravité, tombent dans l’escarcelle des renseignements ? Pas de réponse.
La préfecture du Finistère, qui a autorité sur les renseignements territoriaux, considère elle aussi que cet événement relève de « l’organisation normale de la détection et de la prévention de la radicalisation », qui passe par l’étude de ces fameux « signaux faibles ». La décision d’un éventuel suivi est prise en fonction de « l’évaluation du signalement et de la situation signalée ».
Opacité dans les circuits d’information (...)