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les crises
Assange et l’effondrement de l’État de droit
Chris Hedges est un journaliste lauréat du Prix Pulitzer qui a été correspondant à l’étranger pendant 15 ans pour le New York Times
Article mis en ligne le 14 juillet 2021

Chris Hedges a prononcé cette allocution lors d’un rassemblement jeudi soir à New York en faveur de Julian Assange. John et Gabriel Shipton, le père et le frère de Julian, ont également pris la parole lors de cet événement, qui s’est tenu au People’s Forum.

Une société qui interdit la capacité de parler en vérité éteint la capacité de vivre dans la justice.

C’est pourquoi nous sommes ici ce soir. Oui, tous ceux d’entre nous qui connaissent et admirent Julian déplorent sa souffrance prolongée et celle de sa famille. Oui, nous exigeons qu’il soit mis fin aux nombreux torts et injustices qui lui ont été infligés. Oui, nous lui rendons hommage pour son courage et son intégrité. Mais la bataille pour la liberté de Julian a toujours été bien plus que la persécution d’un éditeur. C’est la bataille pour la liberté de la presse la plus importante de notre époque. Et si nous perdons cette bataille, ce sera dévastateur, non seulement pour Julian et sa famille, mais aussi pour nous.Les tyrannies inversent l’état de droit. Elles transforment la loi en un instrument d’injustice.

Elles dissimulent leurs crimes sous une fausse légalité. Elles utilisent le décorum des tribunaux et des procès pour masquer leur criminalité. Ceux qui, comme Julian, exposent cette criminalité au public sont dangereux, car sans le prétexte de la légitimité, la tyrannie perd sa crédibilité et n’a plus que la peur, la coercition et la violence dans son arsenal.La longue campagne contre Julian et WikiLeaks est une fenêtre sur l’effondrement de l’État de droit, la montée de ce que le philosophe politique Sheldon Wolin appelle notre système de totalitarisme inversé, une forme de totalitarisme qui maintient les fictions de l’ancienne démocratie capitaliste, y compris ses institutions, son iconographie, ses symboles patriotiques et sa rhétorique, mais qui, à l’intérieur, a abandonné le contrôle total aux diktats des entreprises mondiales.

J’étais dans la salle d’audience de Londres lorsque Julian a été jugé par la juge Vanessa Baraitser, une version actualisée de la Reine de Cœur d’Alice au pays des merveilles exigeant la sentence avant de prononcer le verdict. C’était une farce judiciaire. Il n’y avait aucune base légale pour garder Julian en prison. Il n’y avait aucune base légale pour le juger, lui, un citoyen australien, en vertu de la loi américaine sur l’espionnage. La CIA a espionné Julian à l’ambassade par l’entremise d’une compagnie espagnole, UC Global, engagée pour assurer la sécurité de l’ambassade. (...)

Les architectes de l’impérialisme, les maîtres de la guerre, les branches législatives, judiciaires et exécutives du gouvernement contrôlées par les entreprises et leurs courtisans obséquieux dans les médias, sont illégitimes. Dites cette simple vérité et vous êtes banni, comme beaucoup d’entre nous l’ont été, en marge du paysage médiatique. Si vous prouvez cette vérité, comme Julian, Chelsea Manning, Jeremy Hammond et Edward Snowden l’ont fait en nous permettant de voir les rouages du pouvoir, vous êtes traqués et persécutés. (...)

Le gouvernement américain essaiera de vous empêcher de publier ses vilains secrets. Et s’ils doivent vous détruire et détruire le Premier amendement et les droits des éditeurs avec vous, ils sont prêts à le faire. Nous croyons qu’ils vont s’en prendre à WikiLeaks et à vous, Julian, en tant qu’éditeur. »« Me poursuivre pour quoi ? » a demandé Julian.« Espionnage, poursuit Weinglass. Ils vont accuser Bradley Manning de trahison en vertu de la Loi sur l’espionnage de 1917. Nous ne pensons pas que cela s’applique à lui parce qu’il est un dénonciateur, pas un espion. Et nous ne pensons pas que cela s’applique à vous non plus, car vous êtes un éditeur. Mais ils vont essayer de forcer Manning à vous impliquer comme son collaborateur. »« Me poursuivre pour quoi ? »Voilà la question.Ils s’en sont pris à Julian non pas pour ses vices, mais pour ses vertus.

Ils s’en sont pris à Julian :

– parce qu’il a dénoncé les plus de 15 000 décès non signalés de civils irakiens ;

– parce qu’il a révélé les tortures et les abus subis par quelque 800 hommes et garçons, âgés de 14 à 89 ans, à Guantanamo ;

– parce qu’il a révélé qu’en 2009, Hillary Clinton a ordonné à des diplomates américains d’espionner le secrétaire général des Nations Unies Ban Ki Moon et d’autres représentants de la Chine, de la France, de la Russie et du Royaume-Uni, espionnage qui incluait l’obtention d’ADN, de scans de l’iris, d’empreintes digitales et de mots de passe personnels, dans le cadre d’un long schéma de surveillance illégale qui incluait l’écoute du secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan dans les semaines précédant l’invasion de l’Irak par les États-Unis en 2003 ;

– parce qu’il a révélé que Barack Obama, Hillary Clinton et la CIA ont orchestré le coup d’État militaire de juin 2009 au Honduras qui a renversé le président démocratiquement élu Manuel Zelaya et l’a remplacé par un régime militaire meurtrier et corrompu ;

– parce qu’il a révélé que George W. Bush, Barack Obama et le général David Petraeus ont poursuivi une guerre en Irak qui, selon les lois post-Nuremberg, est définie comme une guerre d’agression criminelle, un crime de guerre, qu’ils ont autorisé des centaines d’assassinats ciblés, y compris ceux de citoyens américains au Yémen, et qu’ils ont secrètement autorisé des assassinats de civils ;

– parce qu’il a révélé que Goldman Sachs a versé 657 000 dollars à Hillary Clinton pour qu’elle donne des conférences, une somme si importante qu’elle ne peut être considérée que comme un pot-de-vin, et qu’elle a assuré en privé aux dirigeants d’entreprise qu’elle ferait ce qu’ils lui demandaient tout en promettant au public une réglementation et une réforme financières ;

– parce qu’il a révélé la campagne interne visant à discréditer et à détruire le leader du parti travailliste britannique Jeremy Corbyn par des membres de son propre parti ;

– parce qu’il a révélé comment les outils de piratage utilisés par la CIA et la National Security Agency permettent au gouvernement de surveiller en gros nos télévisions, nos ordinateurs, nos smartphones et nos logiciels anti-virus, permettant au gouvernement d’enregistrer et de stocker nos conversations, nos images et nos messages texte privés, même à partir d’applications cryptées.

Julian a exposé la vérité. Il l’a exposée encore et encore, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucun doute sur l’illégalité, la corruption et la mendicité endémiques qui définissent l’élite dirigeante mondiale.

Et pour ces vérités, ils se sont attaqués à Julian, comme ils se sont attaqués à tous ceux qui ont osé lever le voile sur le pouvoir. (...)