
Alors que l’Aquarius entrait dans le port de Marseille, le Conseil européen réunissant les 28 chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne (UE), en grande partie consacré à la question des migrations en Méditerranée centrale, s’achevait sur des incohérences et des contradictions quant au cadre dans lequel doivent s’effectuer les secours en Méditerranée centrale.
La question cruciale des ports de débarquement des naufragés secourus en mer restait en suspens. Or en l’absence d’une réponse concrète et coordonnée des instances européennes à cette question, les situations de blocage, légalement et moralement inacceptables, à l’entrée de ports italiens et maltais - comme celles rencontrées par l’Aquarius et deux autres navires humanitaires des ONG Lifeline et ProActiva, mais aussi par un porte-conteneur à vocation marchande de la compagnie Maersk et un navire militaire américain - ont tout lieu de se répéter.
Par ailleurs la volonté réaffirmée du Conseil européen de renforcer les capacités d’interception des garde-côtes libyens, doublée de la reconnaissance impromptue et passée totalement inaperçue d’un centre de coordination des sauvetages en Libye par l’Organisation maritime internationale (OMI) n’a fait qu’ajouter à cette situation d’extrême confusion. En effet, le centre de Tripoli serait désormais en charge de couvrir toutes les opérations de sauvetage et de transbordement se déroulant sur la zone où opèrent aujourd’hui les navires de secours en Méditerranée centrale. Il deviendrait alors l’autorité compétente pour diriger toute opération de sauvetage, y compris pour décider du lieu de débarquement des rescapés. Or à ce jour, la Libye ne dispose d’aucun port sûr où les droits humains des rescapés, notamment leurs besoins médicaux spécifiques, puissent être assurés et où ils puissent obtenir la protection à laquelle ils ont droit selon les conventions maritimes et humanitaires internationales. De plus, l’absence de « port sûr » en Libye et la question de la sécurité restreignent la libre navigation des navires dans les eaux territoriales et adjacentes libyennes, en raison de restrictions sécuritaires émises par les autorités des pavillons. Enfin, « L’enfer libyen » revient inlassablement dans les témoignages des rescapés et nous rappelle les images insoutenables des marchés aux esclaves en Libye propulsées sur la scène médiatique en novembre dernier par CNN[2], autant de « crimes contre l’humanité » alors dénoncés par nos responsables politiques et que tout le monde aujourd’hui semble avoir oubliés.(...)
Que les garde-côtes libyens, formés, financés et équipés par l’Union européenne, renvoient les naufragés en Libye n’en est que plus légalement et moralement inacceptable.
Ce contexte inédit à ce jour, qui restreint encore davantage un espace humanitaire déjà tendu en Méditerranée centrale, contraint l’Aquarius à réévaluer son modèle opérationnel et à optimiser les conditions de son retour en mer prévu d’ici quelques semaines au plus tard. Car toutes les équipes, à bord comme à terre, sont bien déterminées à repartir pour que SOS MEDITERRANEE puisse continuer sa mission vitale en Méditerranée : secourir, protéger et témoigner, dans le respect de la dignité des rescapés et dans le strict cadre légal du droit humanitaire et maritime international.