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Après la mort du jeune Nahel, Mediapart a analysé le JT du 20 heures de France 2 pendant une semaine. Résultat : des reportages essentiellement axés sur les violences, laissant peu de place aux questionnements sur les causes des révoltes.
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Article mis en ligne le 16 juillet 2023

Après la mort du jeune Nahel, Mediapart a analysé le JT du 20 heures de France 2 pendant une semaine. Résultat : des reportages essentiellement axés sur les violences, laissant peu de place aux questionnements sur les causes des révoltes.

Après la mort de Nahel, jeune de 17 ans tué le 27 juin par un tir policier, les quartiers populaires se sont embrasés sous l’œil des caméras françaises. Carcasses de voitures encore fumantes, pillages effrénés de boutiques, bâtiments publics en flammes, jeunes cagoulés… Ces images ont tourné en boucle sur les chaînes de télévision, tandis que sur les plateaux défilaient journalistes police-justice et syndicats policiers pour décrire « le chaos » généré par des jeunes « intoxiqués par les jeux vidéo ». (...)

Pendant plusieurs jours, les révoltes ont occupé une bonne partie du temps d’antenne, charriant avec elles de nombreuses fausses informations. Et ce, dès les prémices des événements, comme le relatait Politis. Sur BFMTV et d’autres chaînes, la voiture que conduisait Nahel est d’abord de la mauvaise couleur : bleue, alors qu’elle s’avère être jaune, contrairement à la version de la préfecture ici reprise. Sur CNews, les commentateurs expliquent que le jeune homme était « très connu des services de police » et évoquent un casier judiciaire « déjà long » inventé de toutes pièces – Nahel n’a jamais été poursuivi par la justice.

Plus problématique encore : le 3 juillet au soir, sur le plateau du JT du 20 heures de France 2, la vidéo de la mort de Nahel – récupérée par une ONG d’investigation indépendante, Index – est mise en scène, sous-titrée avec la version donnée par l’inspection générale de la police nationale (IGPN) de manière non définitive. Le JT sera ensuite retiré des replays disponibles en ligne, la présentatrice Anne-Sophie Lapix s’excusera en direct et une version rectifiée sera diffusée le lendemain. (...)

C’est dans ce contexte de mélis-mélos journalistiques que Mediapart a analysé les JT du 20 heures de la chaîne publique France 2 pendant une semaine, du mardi 27 juin, jour de la mort de Nahel, jusqu’au dimanche 2 juillet, date marquant plus ou moins la fin des révoltes.

Un premier constat s’impose : à mesure que les quartiers populaires s’embrasaient, le JT de France 2 faisait le choix de focaliser sa couverture sur les violences. Au total, 75 % du temps d’antenne consacré aux événements ont été dédiés aux dégradations, pillages et affrontements entre police et jeunes. Au risque d’éluder presque complètement les causes de ces violences. (...)

Au troisième soir de révoltes, les termes les plus employés au JT de France 2 appartiennent au champ lexical de la violence (...)

Des journalistes envoyés sur le terrain avec « une liste de courses » (...)

Sur le terrain, les journalistes ont peu de marge de manœuvre. Les rédacteurs et rédactrices sont envoyés avec « une liste de courses », explique une journaliste de France 2 : « Les demandes quand on va sur le terrain sont très anglées. On part en sachant déjà quelle séquence on doit tourner exactement parce que c’est ce que nous a demandé notre chef et on doit revenir avec. » Un procédé qui empêche toute possibilité de « se laisser surprendre par le terrain », déplore-t-elle. « En une journée, on doit trouver le mouton à cinq pattes », ironise la rédactrice.

Ces chimères de l’actualité, le sociologue Jérôme Berthaut, auteur de La banlieue du “20 heures” : ethnographie de la production d’un lieu commun journalistique (Agone, 2013), les connaît bien. Entre 2003 et 2007, il a enquêté, en immersion à la rédaction de France 2, sur le traitement médiatique des banlieues. Selon le sociologue, les journalistes de télévision font du « journalisme de raccourci » (...)

Sur les six jours analysés par Mediapart, presque aucun jeune et très peu d’habitant·es des quartiers sont interrogés. (...)

Jérôme Berthaut analyse : « Des reporters essayent de bien faire leur boulot mais ce sont les chefs qui décident. La question c’est : est-ce que ça vaut le coup de se bagarrer pour un sujet ? C’est hyper-coûteux, surtout si l’objectif professionnel du journaliste, ce n’est pas de renouveler la couverture des banlieues. » En fond, la journaliste de France 2 concède une absence des journalistes dans les quartiers hors période de révolte : « Il faut traiter autrement les banlieues. »