
Face au manque de main d’œuvre étrangère, plus de 200 000 personnes se sont portées candidates pour rejoindre des exploitations agricoles. Des professionnels s’inquiètent cependant de cet afflux précipité de travailleurs, mal préparés à affronter des conditions d’emploi difficiles, voire dangereuses.
« Rejoignez la grande armée de l’Agriculture française. » En dépit des mesures de confinement, le ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, a appelé le 24 mars celles et ceux sans activité ou au chômage partiel à « travailler dans les champs ». Cette déclaration a mis en lumière tout un pan de l’agriculture française qui vit d’emplois saisonniers habituellement pourvus par des dizaines de milliers de ressortissants venus de Roumanie, de Pologne, du Maroc ou d’Espagne [1].
La crise du coronavirus confirme également la proximité du gouvernement avec la FNSEA, syndicat agricole majoritaire. Le jour même de la déclaration de Didier Guillaume, la FNSEA a lancé une plateforme mettant en relation agriculteurs et « volontaires », avec l’appui de Pôle emploi et de l’Anefa (Association nationale pour l’emploi et la formation des agriculteurs). Une semaine plus tard, plus de 200 000 personnes avaient répondu à l’appel « Des bras pour ton assiette », conformément à l’objectif annoncé par le syndicat (...)
Jusqu’à 72h de travail par semaine
Les contrats proposés sont donc des contrats saisonniers, très répandus en agriculture, dont la base légale est le Smic [3]. « C’est un CDD au rabais », prévient Clément*, un inspecteur du travail en milieu agricole. « Il est prévu par la loi que le contrat saisonnier ne donne pas lieu à l’indemnité de précarité », illustre t-il. Le montant de cette indemnité de précarité correspond – normalement – à 10% de la rémunération brute totale perçue pendant la durée du contrat. (...)
Pour faciliter les embauches, le gouvernement a autorisé les salariés en chômage partiel à cumuler leur indemnité avec un contrat saisonnier agricole. « La date de fin peut ne pas être définie dès le départ du contrat », indique Pénélope Bourcart, en raison par exemple des aléas climatiques qui peuvent retarder la récolte. Mais « la fin du confinement mettra t-elle automatiquement fin au contrat saisonnier ? » La juriste s’interroge. Une incertitude qui met en difficulté les agriculteurs (...)
La question du temps de travail pose aussi un sérieux problème. De fait, le code rural est un sous code du travail, qui offre de nombreuses dérogations aux employeurs. (...)
En outre, ce code ne permet pas de sanctionner par une amende administrative les exploitants qui violeraient le dépassement de la durée maximale quotidienne, contrairement aux autres entreprises.
Souvent les tâches les moins qualifiées et les plus pénibles
« Les contrats saisonniers sont réservés aux tâches les moins qualifiées et les plus pénibles, répétitives », ajoute Clément. Chez les céréaliers, cela va surtout concerner des tâches d’appoint comme le transport à la main de matières lors des moissons par exemple, ou le ramassage manuel des haricots verts chez les maraichers où il faut rester courber durant des heures. Un travail physique qui induit une souffrance inhérente. (...)
« Si le confinement s’étend jusqu’aux périodes où il fait très chaud, cela veut dire qu’il va falloir travailler à 50 degrés sous les serres avec des gants, des masques... ça va être très difficile », souligne Pénélope Bourcart. Les contrats saisonniers permettent par ailleurs souvent de passer à travers les maillons de la visite médicale. « Il n’y a pas de visite médicale en dessous d’un contrat de 45 jours », alerte Clément.
Ce dernier redoute également les accidents du travail. (...)