Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Slate.fr
Antiracisme et universalisme, une même vision de la République
Universalisme, par Mame-Fatou Niang et Julien Suaudeau, paru aux éditions Anamosa le 3 février 2022
Article mis en ligne le 3 février 2022

Un livre cosigné par Mame-Fatou Niang et Julien Suaudeau entend notamment montrer que l’universalisme et l’antiracisme, tout à fait conciliables malgré les déchirements actuels, peuvent faire partie d’un même élan à donner à la République.

(...) Nous publions ici l’introduction de leur livre.

Partout, des plateaux de chaînes info aux tribunes des grands hebdomadaires, des interviews présidentielles aux phénomènes de librairies, on dresse le même constat : l’universalisme, notre cher universalisme, indissociable de l’esprit français, pilier de la République, ferait face à un péril mortel.

Dans le récit qui structure le discours politico-médiatique en France, l’antiracisme présentable d’antan, validé par les partis de gauche pour son ambition universaliste –lutter en même temps contre toutes les haines collectives en intégrant tout le monde– se verrait supplanter par un antiracisme « décolonial », « indigéniste » et « catégoriel », dont la grille de lecture serait « racialisante ».

Si ce nouvel antiracisme est perçu comme une menace pour l’universalisme, c’est parce que ses promoteurs joueraient avec le feu communautariste, tantôt par pulsion sécessionniste, tantôt dans le cadre d’un business plan dont les minorités seraient la clientèle captive, tantôt par soif de faire le buzz –ou pour toutes ces raisons à la fois.

L’antiracisme 2.0 serait ainsi un racisme déguisé, utilisant des concepts essentialisants qui ne valent guère mieux que les théories de la suprématie blanche. Idiots utiles du soft power américain ou apprentis-sorciers de la gauche radicale, ses idéologues formeraient avec l’extrême droite une « tenaille identitaire » visant à renverser l’ordre républicain, en déclenchant rien moins qu’une guerre des races.

Mais de quel universalisme parle-t-on ? Dans quelle mesure le concept fait-il l’objet d’un monopole intellectuel ? Pourquoi ceux qui se pensent et se disent universalistes sont-ils convaincus qu’il n’en existe qu’une seule forme –celle qu’ils professent ? Et comment expliquer l’équivalence morale entre racisme et anti-racisme qui sous-tend leur axiomatique ?

Et si antiracisme et universalisme, loin d’être des entités irréconciliables, forces antagoniques de la tragicomédie du déclin français, traduisaient en réalité une seule et même exigence vis-à-vis de la République ?
Très efficace dans la presse et sur les réseaux sociaux, cette rhétorique du bon et du mauvais antiracisme ruisselle depuis le sommet de l’État. (...)

Dans la fabrique de l’amalgame, l’antiracisme devient une dérive antirépublicaine dès lors qu’il ne s’inscrit plus dans le cadre originel de l’universalisme classique, paradigme dont les valeurs et les limites ont pour particularité d’avoir été définies, sous l’Ancien Régime, la Révolution et la IIIe République, en rapport avec la mission « civilisatrice » de la France.

Et si cette polarisation extrême, fruit du radotage médiatique et de calculs politiciens, n’était qu’un rideau de fumée ? Et si antiracisme et universalisme, loin d’être des entités irréconciliables, forces antagoniques de la tragicomédie du déclin français, traduisaient en réalité une seule et même exigence vis-à-vis de la République ? Et si, loin des punchlines et des sophismes des talk-shows, dans un discours politique à la fois plus complexe et nuancé, ces deux termes qu’on se plaît à opposer pouvaient redevenir synonymes l’un de l’autre ?

Depuis deux ans, nous pensons et écrivons à deux pour parler d’une seule voix : française, antiraciste, républicaine –universaliste. C’est cette voix-là, citoyenne, d’ici et d’ailleurs, qui parle dans ce livre. Elle ne fait pas de nous des alliés : le mot a beau être à la mode dans la phraséologie antiraciste, nous ne nous reconnaissons pas dans ses implications. (...)

se déclarer alliés, c’est aussi accepter le schéma belliciste de l’extrême droite : s’il y a deux camps, c’est donc qu’il y a des « fractures raciales », « des tensions ethniques » et in fine que les torts sont partagés. Le meurtre d’un homme noir pourrait, dans ces conditions, devenir « une malheureuse bavure », « un tragique fait divers ».

À l’issue de cette hyper-simplification, les rapports et les structures multiséculaires de domination passent à la trappe. (...)

À quoi bon toutes ces ressources antiracistes, ces manuels de conscientisation vendus à la pelle depuis quelques années si leur fonction est non pas de transformer le système mais de rétablir le bien-être individuel des bonnes gens qui ont été dérangées dans leur confort intellectuel et politique ? (...)

Une seconde figure complète l’approche que nous proposons de l’universalisme : la mosaïque. Appliquée à notre objet de recherche, elle permet d’appréhender la notion d’identités non pas comme un ensemble homogène et immuable, mais comme la somme de pièces rapportées, d’éléments nombreux et disparates, qui contribuent à créer une structure singulière tirant sa force et son originalité de la diversité de sa composition. (...)

Notre essai se veut à la fois une critique de la raison pseudo-universaliste et une ébauche de l’universalisme postcolonial, qui doit œuvrer à une société post-raciste. Repenser l’universalisme classique, ce n’est pas réveiller le démon du particularisme, de la pureté biologique et des passions fascistes. Ce n’est pas non plus tomber dans le piège de l’identité comme fondement de toute légitimité. C’est, tout au contraire et comme l’écrivait Aimé Césaire, chercher le chemin d’un humanisme à la mesure du monde.