
Démolitions
Lundi 2 juin, 5H51, le jour se lève à Villebon-sur-Yvette (91), le platz de l’usine Galland après 21 mois d’existence va être évacué par les forces de l’ordre. Depuis 4h45, 70 citoyens sont au côté des familles Roms pour dénoncer l’absurdité et l’inhumanité de l’expulsion.
Retenir la nuit. Oui, nous aurions tous voulu retenir la nuit ce lundi 2 juin, espérant que le jour ne se lève pas comme prévu à 5h51, heure où les CRS et gendarmes allaient pouvoir commencer l’opération d’évacuation de l’usine Galland.
Une heure avant, la nuit était encore noire dans l’usine et seules quelques lumières allumées devant les baraques indiquaient celles qui étaient occupées. Une grande partie du platz s’était déjà vidée de ses habitants, certaines baraques désossées.
Déjà ce qui avait été le havre d’une communauté rom pendant 21 mois, là où une vingtaine d’enfants sont nés, où , il y a encore quelques jours, les anciens disputaient d’extraordinaires parties de dominos, où jouaient les mercredi après-midi, enfants et jeunes avec les éducateurs d’Intermède et d’Animakt , maintenant des tas de planches, de matériaux, d’objets abandonnés jonchent le sol, derrière le platz du côté de Villebon par où nous entrons. Un champ de ruines.
Eclairés par une lampe de poche la vision du premier étage est encore pire. Il n’y a plus personne. Les occupants que nous connaissons semblent avoir pris la fuite face à une catastrophe imminente : des restes de repas brutalement interrompus ; des plats pleins de nourritures ; des vêtements ; des téléviseurs ; des jouets d’enfants sur le sol. Quelque chose de Paestum, de Pompéi ou d’une œuvre de Spoerri*. Pourquoi partir ainsi ? Ont-ils pris peur ? Nous savons que des policiers sont venus avec constance et autorité demander le départ des occupants les semaines précédentes avec des pics la semaine dernière. Là nous voyons les effets de ces admonestations. Cela transpire l’alarme.
Déjà nous étions devant les ruines d’un village que nous avions tous appelés le Platz de l’usine Galland. La fin était annoncée depuis longtemps mais là, elle était visiblement à l’œuvre. A cet endroit pendant 21 mois nous avons échangés, appris les uns des autres en partageant nos différentes cultures ; nous avons rêvés ensemble pouvoir construire à peu de distance de l’école que fréquentaient les enfants, avec les élus, les pouvoirs en place, une installation durable pour l’ensemble de ces familles. Mais personne n’a répondu à nos appels.
Défense des droits fondamentaux et respect des devoirs, nous nous sommes risqués à aborder les sujets difficiles ensemble. « Inéluctable. L’expulsion est inéluctable », nous répondait –on à la mairie de Palaiseau quand on évoquait la nécessaire prise en compte des besoins de cette petite communauté. Et cela justifiait qu’on n’installe pas de toilettes ; cela justifiait qu’on doive mendier pour avoir assez de containers …
Nous redescendons. Il y a de la lumière ça et la dans une douzaine d’endroits. En fait peu à peu au petit matin une centaine d’habitants émerge du sommeil et se prépare calmement à l’expulsion. Le visage anxieux. Le geste économe. Le regard parfois embué. Ils rangent leurs biens, réveillent à contrecœur les enfants, les habillent lentement. Maria renâcle à réveiller Yasmina sa petite fille de quelques mois. D’ailleurs Yasmina refuse de s’éveiller. Elle ouvre un œil, s’étire comme un petit chat et se rendort aussitôt. Quel crève-cœur !
Aline et Leila d’Intermèdes Robinson sont restés dormir ici. Elles émergent elles aussi. Les amis de Savalferr arrivent. Nous sortons les thermos et les gâteaux pour le petit déjeuner. Nous allons voir si la police s’active déjà à l’extérieur du côté de Palaiseau. Et là nous découvrons devant les policiers qui débarquent, une soixantaine de jeunes et de moins jeunes venus depuis de Palaiseau et de Villebon, certains à 4 heures du matin, assurer de leur soutien les occupants de l’usine. Nous les appelons à entrer. Le regard des habitants s’éclairent. Non dans cette épreuve, ils ne sont pas seuls. (...)