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Allons, z’enfants du numérique !
Comment relancer l’économie de l’informatique par l’école
Article mis en ligne le 30 août 2016

Comment réformer l’école de la République ? En formant mieux les enseignants ? En limitant le nombre d’élèves par classe ? En accompagnant les enfants vers la liberté, l’égalité et la fraternité ? Pas du tout. Pour le gouvernement, un seul plan de bataille : le tout numérique !

On était prévenus : en manque d’idées pour l’éducation, François Hollande avait – dès 2009 – tout misé sur l’innovation technique. Après avoir distribué des ordinateurs portables, il prit la décision d’équiper collèges et lycées de sa région de Corrèze en tablettes numériques. Sitôt pensé, sitôt acheté, une commande de 13 000 iPads fut passée en 2010 pour 1,5 million d’euros aux frais du contribuable. À défaut de changer quoi que ce soit aux conditions de travail des enseignants et faute de donner de la consistance aux enseignements, une telle action avait au moins le mérite de relancer l’économie et de se la jouer moderne. Un an après les effets d’annonce, une enquête de l’Inspection générale de l’éducation nationale faisait le tour des classes de Corrèze pour constater les dégâts : « Il est clair que la grande majorité des enseignants, d’une part ne recourt que rarement aux ordinateurs portables, affirmant préférer se servir des postes fixes, plus fiables, et d’autre part n’utilise presque pas la tablette numérique, voire, pour certains, la rejettent. [1] »

Créer un marché du numérique éducatif

Peu importe, dès son arrivée aux manettes suprêmes en 2012, le moi-président annonça son plan pour l’éducation : le passage au numérique pour toutes et tous. (...)

Il s’agissait de créer « un marché du numérique éducatif », disait-on alors au ministère de l’Éducation [2]. C’est donc surtout à Bercy qu’on sabra le champagne : imaginez les 12 millions d’élèves français transformés en clients subventionnés pour relancer les ventes en gadgets électroniques...

En 2016, les dispositifs numériques se sont imposés à l’école, avec une kyrielle d’appellations plus obscures les unes les que les autres : Canopé, Environnements numériques de travail, M@gistère, D’COL, Éduthèque, Éduscol, e-FRAN... Les élèves des 600 établissements dorénavant équipés peuvent mater leurs films tranquillement et jouer à CandyCrush sur leur tablette offerte par Papa Noël Hollande. Pendant ce temps, les profs s’échinent à faire l’appel dématérialisé en début de cours et à lancer les applis indispensables à leur dignité 2.0, perdant dans le même temps un peu plus de maîtrise sur leurs cours. Il leur faut aussi remplir le cahier de texte numérique, puis Pronote , le logiciel qui envoie les résultats des contrôles aux parents avant que l’élève soit rentré chez lui, le dépossédant de sa capacité à choisir le moment opportun pour annoncer son 4/20 en géo. Ajoutez à cela l’envoi des retards et des absences par SMS, et voilà nos chérubins dressés comme il se doit aux sociétés de surveillance.

Le petit soldat du numérique

Ne s’embarrassant pas d’études sur les effets psychologiques et pédagogiques de l’hyperconnexion des enfants, ados et enseignants (le progrès, c’est bien, on vous dit), le gouvernement n’a qu’une obsession : trouver les moyens techniques de cette mise au pas informatique de la jeunesse. Dans cette délicate mission, le ministère s’est doté en 2014 d’une Direction du numérique à l’école (...)

c’est le polytechnicien Mathieu Jeandron qu’on a finalement mis aux commandes. Ancien responsable informatique du ministère de l’Intérieur, Jeandron est allé faire ses classes chez Computer Sciences Corporation, société US billionnaire [3] dont la juteuse mission est d’informatiser les institutions publiques à travers le monde – quand elle ne prête pas main-forte à la CIA pour ses « torture flights », opérations clandestines menées dans le cadre de la lutte antiterrorisme hors de contrôle cadre juridique [4].

Bref, après son retour dans le public auprès du Secrétariat général à la modernisation de l’Action publique (SGMAP), Jeandron était l’homme qui tombe à pic. Mais laissons-le expliquer son job : « La Direction du numérique fait le grand écart entre le développement des usages pédagogiques dans les classes, qui est le cœur de métier de l’éducation, [et] l’ensemble de l’informatique du système éducatif, le système de gestion des ressources humaines, le système de gestion financière. (…) On est obligés de transformer globalement le système. » Transformer l’entreprise-école, telle est donc la tâche de ce grand amoureux des cadres sup’-enseignants et des clients-enfants : « Pour que ça marche dans la classe, pour que les usages se développent, il faut aussi qu’il y ait des gens qui s’occupent des infrastructures, c’est le background. Le lien entre le front office – ce qu’on met à disposition – et le back office – ce qui fait que ça marche – est indispensable. C’est une intuition formidable que le ministère a eue en créant la Direction du numérique pour l’éducation. » [5]

Manque de pot, notre polytechnicien a aussi hérité d’une sacrée casserole : la refonte du système de fichiers informatiques du personnel de l’Éducation (le Sirhen). Projet lancé en 2007 et censé fluidifier la gestion d’un million de fonctionnaires, le programme n’en concernait que 4 000 en décembre 2015. Il faut dire que la sous-traitance de ce dossier avait été confiée au secteur privé (CapGemini) (...)

Les tablettes et les robots d’abord

Ainsi donc, puisque les emplois vont disparaître, les enseignants aussi. Nao, robot humanoïde de la société française Aldebaran Robotics, est utilisé comme auxiliaire d’enseignement avec aujourd’hui près de 8 000 exemplaires à travers le monde [7]. Présent dans plus de 80 établissements secondaires en France, il est la fierté des stands du ministère de l’Éducation, qui le trimballe dans les innombrables salons dédiés à l’école numérique, accompagné des logiciels éducatifs bien de chez nous. Parmi les start-ups qui préparent la fin des manuels scolaires papier (et, à terme, la disparition des livres en général [8]), c’est la société Sqool qui a les faveurs du gouvernement. Elle propose aux élèves d’apprendre les maths en menant des enquêtes policières interactives.

En novembre 2015, après avoir signé un accord-cadre avec Apple en 2004, l’Éducation nationale offrait un contrat de 13 millions d’euros à Microsoft. Les priorités en matière de pédagogie sont désormais on ne peut plus claires.