
Cybernétique : le mot fait irrésistiblement jaillir à l’esprit l’image d’un pouvoir central contrôlant l’humain à travers mille canaux de communication. Une image fausse, comme le montre l’expérience menée en 1972 par le gouvernement chilien.
Dès 1948, l’hypothèse d’un gouvernement des machines hante les esprits avancés qui élaborent alors aussi bien l’informatique que… les électrochocs. Cette année-là, tandis que George Orwell écrit 1984, Norbert Wiener définit la cybernétique comme « le contrôle et la communication chez l’animal et la machine (1) ». (...)
La première expérience réelle de pouvoir machinique naîtra de la rencontre de l’un de ces cybernéticiens britanniques avec le socialisme démocratique chilien. Nous sommes le 12 novembre 1971. (...)
Scientifique de formation, Allende se passionne pour le sujet, consacrant plusieurs heures à échanger avec Beer, qui rapportera plus tard comment le président insistait à tout moment pour en renforcer les aspects « décentralisateurs, antibureaucratiques et permettant la participation des travailleurs (9) ». Quand Beer montre à Allende la place centrale du dispositif, celle qui dans son esprit revient au président, celui-ci s’exclame : « Enfin : le peuple ! » (...)
Comme le souligne la chercheuse en histoire informatique Eden Medina, le projet Synco, « bien qu’ambitieux sur le plan technologique, ne saurait être défini comme une simple tentative technique de régulation de l’économie. Du point de vue de ses participants, il allait appuyer la révolution socialiste d’Allende — de l’“informatique révolutionnaire” au sens propre ». (...)
A-t-on encore besoin de la cybernétique ? Quand l’action renforce l’information qui l’a déclenchée, le retour est dit positif, et le système a tendance à diverger — ce qu’on appelle trivialement « bulle » ou « cercle vicieux » selon la direction qu’il emprunte. Qu’il soit négatif, et le système, au contraire, s’adapte et se stabilise, résiste aux coups de boutoir et cherche des solutions pour se préserver dans un environnement changeant. La crise économique qui secoue aujourd’hui l’Europe en est une splendide illustration (...)