
Salaire horaire de 4 euros, journées de travail de 12 heures, conditions d’hébergement pour les travailleurs étrangers exécrables, les pratiques dans les abattoirs allemands provoquent l’indignation outre-Rhin. Une protestation qui s’étend à l’ensemble des pratiques du secteur agroindustriel.
« Ce que nous avons vu ? Des salariés hongrois qui dormaient à trois dans une chambre de 10 m2. Et ils doivent chacun verser un loyer de 200 euros par mois », rapporte la journaliste Brid Roesner, auteur d’un documentaire au titre éloquent : « L’industrie de la viande : l’esclavage moderne. »* Comme le silence est d’or dans la branche et l’opacité le mot d’ordre, il lui a fallu deux mois et demi de recherches pour tourner son film. « Il a été notamment difficile de trouver des salariés qui acceptent de parler. Ils gagnent 1200 euros par mois pour des journées de 12 heures. Et au moindre faux geste, ils doivent partir ».
Comment de telles pratiques peuvent-elles avoir lieu ? « Il n’existe pas de salaire minimum en Allemagne », explique Karin Vladimirov, porte-parole du syndicat Nahrung Genuss Gaststätten (NGG). « Les salaires et les conditions de travail font l’objet de négociations entre syndicats et organisations patronales par branche industrielle. Or, les abattoirs ne sont pas représentés par une organisation patronale. De facto, nous n’avons personne avec qui négocier ». Les abattoirs ne sont donc soumis à aucun accord syndical et se tournent vers la sous-traitance qui recrute pour eux en Europe de l’Est. Les contrats signés, ou « Werkverträge », permettent aux industriels « de faire pratiquement ce qu’ils veulent » (...)
La dénonciation des pratiques scandaleuses dans les abattoirs s’inscrit dans un contexte de protestation sociale bien plus large contre les pratiques du secteur agro-alimentaire. L’Allemagne voit surgir depuis quelques années différents mouvements et actions qui tous se rejoignent dans une même revendication : lutter contre l’industrialisation de l’agriculture.
Le pays a ainsi vu surgir les « Schnippeldisko » ou « disco soupe ». Parties de Berlin, ces soirées – qui arrivent aussi en France- réunissant tout un chacun pour éplucher (schnippeln) des légumes récupérés sur fond sonore branché se sont étendues dans tout le pays. S’y ajoutent l’organisation de « barbecues de protestation », d’opérations de blocage de containers de soja dans les ports, ou encore la création de jardins communautaires en pleine ville, etc...Un mouvement de fond qui se concrétise dans un changement des habitudes alimentaires : la consommation de viande est en baisse en Allemagne (59,5 kg en 2012 contre 70,3 kg en 1988), et le nombre de végétariens a fortement augmenté (environ 7 millions de personnes actuellement, soit 8-9% de la population, contre 0,6% seulement en 1983)**.
Ce mouvement social trouve-t-il une résonance politique ?
Le 31 aout dernier, environ 6 000 personnes ont formé une chaîne humaine autour du plus grand abattoir de volaille d’Europe à Wietze, en Basse-Saxe. 200 000 poules sont abattues par jour dans ce site flambant neuf, l’objectif étant d’atteindre le plus rapidement possible les 430 000. Les manifestants ont voulu exprimer leur « ras-le-bol », c’était leur mot d’ordre, contre les mastodontes de l’industrie agro-alimentaire et plaider pour un « Agrarwende », soit un tournant agricole. (...)