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Alain Finkielkraut, Renaud Camus et le poids des mots
Frédéric Debomy, auteur de Finkielkraut, la pensée défaite, Textuel, 2017.
Article mis en ligne le 16 mars 2019

Ainsi le sympathisant australien d’extrême-droite qui vient d’assassiner, en Nouvelle-Zélande, une cinquantaine de musulmans au moins serait-il un lecteur de Renaud Camus, théoricien du « Grand Remplacement ».

Cela n’est pas sans rappeler un autre épisode : en 2011, le Norvégien Anders Behring Breivik, autre terroriste d’extrême droite, tuait 77 personnes : 8 en faisant exploser une bombe près du siège du gouvernement norvégien et 69 en ouvrant le feu sur un camp d’été de la Jeunesse travailliste. Breivik reprochait à ses cibles d’exposer son pays au multiculturalisme et à l’islam. Dans son manifeste, il citait Finkielkraut, reprenant son affirmation que l’antiracisme serait au XXIe siècle « ce que le communisme fut au XXe : une source de violence » (citation de Breivik). Ce qui ne dissuada pas ce dernier de consacrer, le 17 novembre 2012, une émission de radio à la publication par l’écrivain Richard Millet d’un Éloge littéraire d’Anders Breivik. La question posée par l’essayiste et animateur en début d’émission – « Quelle différence y a-t-il entre un éloge littéraire et un éloge littéral ? » – n’empêcha pas celle-ci de tourner largement autour… des dangers du multiculturalisme. L’auditeur, en outre, ne fut pas informé de l’influence exercée par la pensée de Finkielkraut sur la vision du monde d’Anders Breivik.

Renaud Camus est, de son propre aveu, l’une des inspirations majeures de Finkielkraut. Certes, ce dernier marquait en 2015, dans son livre La seule exactitude, sa distance avec l’expression de « Grand Remplacement » chère à Camus : « je ne [la] reprends pas à mon compte, car elle a immanquablement pour effet de transformer toutes les personnes d’origine turque ou arabe en envahisseurs. » Mais c’était pour affirmer le 29 octobre 2017 sur Radio RCJ que le « remplacisme global » était « dénoncé à juste titre par Renaud Camus ». Le « concept » de l’écrivain n’était finalement pas si dérangeant…

Cela, j’avais essayé de le dire dans Le Monde, qui accepta une tribune puis ne la publia pas. J’apprends maintenant que la romancière et essayiste Dominique Eddé, s’essayant à critiquer Finkielkraut dans les colonnes du journal, s’y est pareillement cassé le nez, et de la même façon (...)

quoi qu’écrive Finkielkraut, quoiqu’il déclare, on le renvoie peu au fait qu’un intellectuel doit avoir la maîtrise de ses propos.

Un événement comme celui qui vient de se produire en Nouvelle-Zélande nous rappelle pourtant combien idéologie et violence ont partie liée (...)

Si Renaud Camus et Alain Finkielkraut ne portent pas de responsabilité directe dans les attentats commis par ceux dont ils ont nourri la pensée, les mots, indéniablement, ont un poids.