
Les classes Segpa accueillent près de 100 000 élèves en difficulté scolaire. Leurs professeurs tentent de leur redonner confiance grâce à un enseignement adapté, et les accompagnent vers la construction d’un projet professionnel. Mais face à un manque de moyens, à la faiblesse de la formation des enseignants et à la rigidité de l’administration, ces missions sont rendues de plus en plus difficiles. Rencontre avec deux professeurs d’un collège du Lot.
« Section d’enseignement général et professionnel adapté ». Comprenez : des classes vers lesquelles sont orientés des élèves en échec scolaire pour cause de difficultés familiales, sociales, parfois psychologiques, ou de handicap. Dès la sixième et à n’importe quel niveau du collège, les enfants en difficulté peuvent intégrer ces classes, qui leur permettent de suivre un enseignement en petits groupes – 16 élèves maximum en théorie – et de préparer plus tard un diplôme professionnel. Ils ont aussi moins d’enseignants, ce qui leur offre plus de stabilité.
Sarah Mouder vient d’effectuer sa deuxième rentrée en tant que professeur de Segpa dans le même collège qu’Edmond. Elle enseigne le français, mais aussi l’histoire-géographie et les sciences. Dans la classe, certains élèves souffrent de dyslexie (troubles de la lecture et de l’écriture), de dyspraxie (maladresse pathologique), ou de troubles du comportement. Certains portent un appareil auditif... « On ne peut pas enseigner à tous de la même manière, explique-t-elle. Il faut s’adapter et parfois modifier le cours qu’on avait préparé. » La capacité de concentration des élèves est souvent brève. Les enseignants doivent rechercher des moyens quasi individualisés pour capter leur attention.
L’équipe pédagogique a monté plusieurs projets autour de la parole, comme un atelier radio et un débat mensuels. Les élèves ont fixé eux-mêmes les règles : assis en cercle, ils choisissent un thème – le harcèlement, l’usage d’internet, le distributeur de boissons du collège... – et désignent ceux qui surveillent le temps et ceux qui donnent la parole. Lors de l’atelier radio, ils ont lu des textes à plusieurs voix et se sont interviewés les uns les autres au sujet de leurs stages en entreprises. Puis ils ont écouté leur voix à l’antenne.
Préjugés sexistes et faible estime de soi
Les enseignants doivent aussi aider ces ados à affronter le regard des autres, car les élèves de Segpa sont souvent victimes de moqueries et de discriminations. Leur sentiment d’échec scolaire est renforcé par le fait d’être renvoyé à leur faiblesse ou à leur handicap. Sans compter les clichés sexistes. (...)
Selon Sarah, la faible estime de soi de ces élèves va de pair avec le recours à la provocation et à la violence. Certains préjugés sexistes atteignent aussi les profs : « Les garçons reconnaissent plus aisément l’autorité d’un homme que d’une femme. En tant qu’homme, j’ai moins de problèmes de discipline que mes collègues femmes », souligne Edmond.
« Tous les élèves devraient fabriquer quelque chose de leurs mains »
Les élèves de sixième et cinquième n’ont que des cours d’enseignement général. A partir de la quatrième, ils suivent des « ateliers » en vue d’une professionnalisation. Ils y découvrent d’une part les métiers du bâtiment, et d’autre part les métiers de bouche, de service et de vente. Tous les élèves expérimentent ces deux ateliers en demi-classe. En troisième, ils peuvent en choisir un. En parallèle, ils passent plusieurs semaines en stage en entreprise. De quoi bâtir progressivement un projet professionnel.
Mais des obstacles se dressent et les moyens manquent pour véritablement accompagner ces élèves (...)
Edmond se réjouit des bienfaits des cours d’ateliers. « Ils sont debout et actifs. Je ne les renvoie pas à une attitude scolaire classique, assis et contraints d’utiliser l’écrit, qui les a mis en échec. Pour autant, le travail manuel exige de grandes capacités de conception et d’abstraction. Ils y arrivent très bien. Tous les élèves de collège devraient et aimeraient fabriquer quelque chose de leurs mains, comme c’est le cas ailleurs en Europe. »
Des enseignants au statut non reconnu
Contrairement aux autres professeurs de collège, les enseignants de Segpa – sauf les profs d’atelier – ont une formation et un statut de professeur des écoles. Ils sont donc considérés comme des enseignants du premier degré, détachés dans le second degré. Un statut bancal et dévalorisé. Ainsi, bien qu’ils assument des missions de professeur principal, comme la gestion des conflits ou le lien avec les familles, ils n’ont pas droit à la prime correspondante. (...)
Ont-ils au moins une formation adaptée aux difficultés qui les attendent face à un public spécifique ? Pas vraiment. Très théorique, la formation de professeur des écoles dans les « ESPE » (École supérieure du professorat et de l’éducation, ex-IUFM) ne prépare pas à enseigner à des ados souffrant de divers troubles de l’apprentissage et du comportement. Il existe une spécialisation permettant d’enseigner à des élèves handicapés, en institut médico-éducatif ou thérapeutique et éducatif. Sarah a demandé à suivre cette formation. Mais l’Éducation nationale lui a clairement signifié qu’elle n’était pas prioritaire et qu’elle pouvait se former elle-même. « Nous apprenons beaucoup sur le tas, estime Edmond. Le travail d’équipe est essentiel, car nous avons besoin de nous serrer les coudes. »
Un enseignement peu soutenu par l’Éducation nationale
Comme tous les collégiens et leurs enseignants, ceux de Segpa ont aussi du s’adapter à la nouvelle réforme dès la rentrée. (...)
la réforme oblige les enseignants à inclure régulièrement des élèves de Segpa dans les classes générales parfois très chargées, jusqu’à 30 élèves. Cette plus grande mixité peut favoriser l’intégration, mais Edmond reste sceptique. « Cela risque d’être contre-productif et très déstabilisant, car le groupe est structurant pour ces élèves qui ont justement besoin d’un petit groupe pour être mieux accompagnés... ». (...)