
« Pourquoi vous ne vous occupez pas de nos SDF Français ? » Une phrase souvent entendue par les militants qui viennent en aide aux Roms de la région lilloise. « Combien d’individus nous ont demandé d’accueillir les Roms dans notre jardin, d’aller vivre avec eux en Roumanie ? Combien nous accusent de faire de la discrimination contre les Français ? », raconte Romain Joubert. Une solidarité sélective qu’il veut dénoncer, alors que la situation semble bloquée pour une centaine de Roms, expulsés de leur campement et aujourd’hui hébergés à la bourse du travail de Lille, dans des conditions très précaires.
Ah, le bon vieux SDF bien de chez nous… Avec la crise, il parvient presque à revêtir un aspect folklorique et pittoresque ! Sa petite barbe jaunie par la clope, sa bouteille de villageoise, ses blagues graveleuses ou sa démence rigolote. Finalement, ça fait parti du patrimoine, c’est bien de chez nous, ça respire le bon français !
Depuis un an que je milite pour le droit des Roms dans la métropole Lilloise, je n’ai jamais autant entendu cette phrase : « Mais pourquoi vous ne vous occupez pas de nos SDF Français ! ». Cette phrase, je ne l’entends plus seulement de la bouche de militants d’extrême-droite, mais aussi de personnes précaires, de travailleurs sociaux ou d’étudiants de tout poil. Il me paraît urgent, dans ce climat, d’apporter une réponse à cet argument massue qui donne lieu à des situations comme celles de Saint-Maur où le Maire UMP a expulsé des Roms pour y mettre des « SDF locaux » (lire ici), expression complètement stupide et antinomique.
1. Quand le « SDF français » devient un (très pratique) bouclier anti-immigré
Comment clouer le bec à des militants qui défendent le droit à la dignité humaine et au logement digne pour tous, dont les Roms ? Agiter l’épouvantail du SDF Français bien sûr ! Cela tombe sous le sens : il faut aider, en priorité, nos compatriotes en souffrance. Le SDF devient un prétexte bien utile pour ne pas s’intéresser aux Roms qui sont des citoyens européens en errance (subie), qui n’ont de droits nulle part, et valsent (sans mauvais jeu de mot) d’expulsions en expulsions. Finalement, à entendre ces bons patriotes, qui au passage ne font rien pour défendre « nos SDF français », il faudrait les laisser ces derniers dans la rue. Cela ferait un rempart tout trouvé à l’immigration. Après tout, tant que le bruit et l’odeur restent bien français, c’est moins dérangeant. Cela fera davantage terroir et couleur locale dans le paysage...
2. De l’assisté qui vit grâce au travail des autres au compatriote qu’il faut défendre
Ce qui est intéressant à observer dans cet argumentaire d’un genre nouveau, c’est le glissement sémantique qui s’opère pour qualifier le SDF. De l’assisté, bon à rien, déchet de la société, alcoolique, on va vers « le compatriote qu’il faut défendre ». Du parasite de la société, il devient le frère français, le camarade dont il faut s’occuper. Surprenant quand on connait les idéologies véhiculées jusqu’ici à propos des sans-abris et marginaux. Là encore, si le bon SDF français peut être un rempart aux Roms et autres, il mérite bien qu’on lui donne son RSA.
3. La solidarité choisie
Bien sûr, il faut aider et se préoccuper des SDF. Bien sûr des militants se battent depuis des années contre le mal-logement, contre la misère, pour la réquisition des logements, pour une augmentation des moyens à long terme et non pour l’urgence des situations. Les SDF sont bien souvent isolés, en rupture, n’ont plus recours et nécessitent une prise en charge spécifique. Or avec les Roms, la situation n’est pas comparable : nous sommes souvent face à des situations familiales. Il est question de citoyens européens victimes de discriminations à l’école, au travail et au logement partout en Europe. Enfin, contrairement aux idées reçues, ils n’ont droit à aucune allocation, car ils ne sont pas domiciliés de manière légale. Leur seul droit est l’accès gratuit aux soins. Dénoncer la solidarité envers les Roms, c’est légitimer une forme de solidarité pour en rejeter une autre. C’est tendre la main à un de ses frères et pour mieux tendre le doigt à l’autre.
4. « Virer les Roms » : un leitmotiv qui va bien au-delà du Front National
Combien de mails avons-nous reçus ? Combien de personnes nous ont craché à la gueule ? Combien d’individus nous ont demandé d’accueillir les Roms dans notre jardin, d’aller vivre avec eux en Roumanie ? Combien nous accusent de faire de la discrimination contre les Français ? Le plus inquiétant, c’est que ce genre de discours n’est plus propre au FN. C’est un discours que l’on entend quotidiennement à la fac, au travail, de la part de personnes de tous les milieux sociaux et de tous les horizons politiques, y compris bien à gauche. Ce discours reflète la cristallisation des peurs autour d’une minorité victime d’une instrumentalisation et de nombreuses idées reçues. Idées largement relayées par les journaux locaux et un certain nombre de médias nationaux.
5. Des pouvoirs publics apathiques, qui jouent le pourrissement et entretiennent la spirale de la haine (...)
6. Abandonner la cause des Roms, c’est détruire la digue de la solidarité (...)
Si nous perdons ce combat, nous perdrons les combats pour tous les autres précaires. À force de division, de haine, de jalousie et de solidarité sélective, nous perdons de notre efficacité collective. Et notre humanité, de surcroit. Pour terminer, je tiens à raconter cette anecdote vécue à Hellemmes, à côté de Lille. Lors d’une distribution de tracts, au métro, un « SDF local » a signé notre pétition et m’a dit : « Jamais je n’aurais un mot de travers pour les Roms. Les insulter, ce serait m’insulter moi-même, ma situation. J’ai déjà partagé des repas avec eux. Entre galériens, on se comprend. »