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Attac France
Ah, l’autorégulation !
La Lettre du Conseil scientifique/Jacques Cossart Économiste
Article mis en ligne le 16 septembre 2012
dernière modification le 13 septembre 2012

L’été 2012 nous aura offert un feuilleton dont le capitalisme a le secret !
Beaucoup ont entendu parler, ou ont lu quelque chose à propos du Libor, acronyme anglais
signifiant London Interbank Offered Rate, dit en français, c’est le taux interbancaire, pris en compte
pour les quelque 350 000 milliards (selon le Finacial Times) à 450 000 milliards de dollars (2012)
de transactions portant sur des durées variables, dont 90 000 milliards sur le seul marché
interbancaire. On pourrait être tenté de penser que les banques n’ont qu’à se débrouiller entre elles.
Pourtant, la pratique quotidienne nous montre que ce taux influence directement à peu près tous les
prêts consentis, dans le monde, aux particuliers (par exemple les prêts immobiliers), aux entreprises
et aux instituions qui s’y réfèrent (l’Euribor ne porte que sur les transactions bancaires en euros ; il a
remplacé le Pibor parisien qui portait, lui, sur le seul franc français). Les contrats individuels
prévoient en effet un taux calculé à partir de ce Libor, plus quelque chose. Dès lors, on comprend
que le « prix de l’argent » va être directement dépendant du taux interbancaire !
Se pose alors la question du mode de fixation de ce taux publié quotidiennement.

L’association bancaire britannique, la BBA (British bankers’ association) confie cette mission à une
firme privée, Thomson Reuters réputée être la première agence d’information financière derrière
l’étasunien Bloomberg LP, tous deux ayant leur siège à New-York. Cette société calcule pour
chacune des dix devises prises en compte (dont, bien entendu, le dollar étasunien, l’euro et la livre
sterling), et sur la base d’une enquête quotidienne conduite auprès d’un « panel » composé de 6 à 18
banques, auquel il est demandé de communiquer le taux moyen auquel elles empruntent aux autres
banques.

Il ne s’agit donc pas d’un taux constaté sur les « marchés interbancaires » mais d’un taux
déclaré par les banques du panel et après que Thomson Reuters ait éliminé les 25 % les plus élevés
et les 25 % les plus bas des chiffres collectés.
Voilà, simple et objectif comme une règle à calculer !

Mais pourquoi donc la BBA ? Tout simplement parce qu’il est bon de rester entre soi ; c’est à
la City de Londres que se passe, si on y ajoute New York qui suit les mêmes règles, l’essentiel des
transactions interbancaires.

Mais pourquoi aussi, un taux déclaré plutôt que l’affichage mécanique
des taux constatés ? Pourquoi donc les autorités routières ne demanderaient-elles pas aux
automobilistes de déclarer leur vitesse plutôt que d’utiliser un système de contrôle automatique ?
Si
vous vendez des parapluies et des ombrelles, rien de mieux que d’indiquer vous-même le temps qu’il
fera !
Partout dans le monde, les banques et établissements financiers vont calculer le coût de leurs
transactions en fonction du Libor.

D’où vient donc alors le « scandale » déclenché par la banque
Barclays ?
Souvenons-nous que les banques sont à la base de son calcul, leurs résultats,
mécaniquement, dépendront en partie du prix des transactions. Si vous voulez gonfler,
artificiellement vos profits, vous « manipulez » le Libor en conséquence ; à l’inverse si vous voulez
afficher la grande confiance qui vous est accordée, vous ferez en sorte que s’affiche un taux bas.
C’est très exactement, et avec la même chronologie, que les événements se sont déroulés avant et
après la crise de 2007/2008. Il semble bien, en effet, que ces manipulations portent sur plusieurs
années et qu’elles concernent bien d’autres grandes banques que le seule Barclays.
On ne sait pas encore combien de banques ont, ainsi, manipulé leurs déclarations, ni le
montant précis de la fraude ; c’est bien, en effet, d’une lourde fraude qu’il s’agit.

On sait cependant
que c’est d’un tout autre niveau et de bien d’autres montants que les quelque 5 milliards du simple
« trader » de la Société générale qui ont fait beaucoup de bruit. Manipuler le Libor, dont on a
rappelé plus haut les principes de calcul, exige l’intervention, au plus haut niveau, des plus grands
établissements. Seuls pour l’instant, le président et le directeur général de la vénérable institution
londonienne (au chiffre d’affaires annuel supérieur à 65 milliards de dollars) ont démissionné.

Mais de qui se moquent-on ? Bien sûr, fatalistes, nous pourrions penser que le capitalisme n’en est pas à son coup d’essai. Quand même, deux patrons d’une grande banque avouent avoir
trempé leurs doigts dans un énorme pot de confitures ; d’autres apparaissent et apparaîtront. N’est-il
pas indispensable d’appliquer sur les doigts encore barbouillés, de sérieux coups de règle ? Et
surtout, n’est-il pas temps de supprimer les pots de confiture par trop tentants ? Il semble bien
d’ailleurs que le terme de chaudron conviendrait mieux que celui de petit pot ! En août 2012,
circulait à Londres le chiffre de 1 000 milliards de dollars comme montant possible de la fraude ; le
Wall Street Journal évoque, lui, un détournement de 800 milliards
(le PIB obtenu grâce à 840
millions d’habitants de l’Afrique subsaharienne était de 920 milliards en 20091
) !

De quoi ces graves turpitudes sont-elles le nom, si ce n’est de l’absence de régulation au sein
même de cette économie de marchés, en tout premier lieu, les financiers ?

D’évidence, la stricte séparation des banques de dépôts de celles dites d’investissement -en
clair, les activités spéculatives- apparaît, chaque jour davantage comme une nécessité.

D’ailleurs,
avec cette « affaire » Barclays, de plus en plus de voix s’élèvent aux États-Unis même, pour
réclamer le rétablissement du Glass-steaggle act instauré en 1933 sous la présidence de Roosevelt,
et aboli en 1999 par l’administration Clinton. En revanche, les chorales bancaires qui, mezzo voce
ou tonitruantes, se font entendre sur la difficulté technique de telles mesures, voire leur caractère
dangereux, sont là pour nous persuader combien lesdites mesures sont redoutées par les
propriétaires du capital. Sur le montant de 450 000 milliards de dollars annuels (à titre de
comparaison, rappelons que le PIB mondial était en 2009 de quelque 60 000 milliards), évoqué en
début d’article, plus de la moitié ressortit à des activités s’apparentant à la spéculation à travers tous
les « véhicules » inventés à cet effet, comme les produits dérivés. Comment imaginer que les
banques de dépôts puissent disposer de pareils montants ? Ce sont les « marchés financiers » qui
opèrent. En outre, les rendements obtenus sur ces marchés sont très sensiblement supérieurs à ceux
relevant de l’activité commerciale de la banque. Pourquoi donc hésiter ?
Il va de soi cependant que cette disposition, pour importante qu’elle soit, ne saurait
supprimer à elle seule la spéculation financière.

C’est un ensemble de dispositions qui doit être
arrêté, au niveau le plus large possible, comme tout ce qui concerne la régulation financière
 ; le
meilleur est mondial sous l’égide de l’ONU. Beaucoup de ces mesures sont connues des lecteurs de
La Lettre du Conseil scientifique :
  interdiction de tous ces fonds spéculatifs qui, même baptisés
hedge funds, présentent la particularité si attractive -pour les marchés financiers- de recourir à
l’emprunt pour afficher des « investissements » en millions de dollars ; suppression de tous ces
CDS (credit default swaps) qui, à la différence des paris sur courses de chevaux, offrent la
« spécificité » de payer le parieur malheureux ;
 prohibition des ventes à découvert, cette pratique
ahurissante qui équivaut à vendre à terme la maison de votre voisin que vous ne possédez pas ;
 renoncement à l’effet de levier fou qui conduit à un taux infini quand le spéculateur achète en
bourse avec 0, etc. etc.

Cependant, la difficultés de parvenir à un accord dans le cadre des Nations
Unies, ne doit pas empêcher, au contraire, que des accords soient, en premières étapes, adoptés
régionalement et d’abord, évidemment, par l’Union européenne.

La crise, à laquelle le monde est
acculé, est celle du système capitaliste qui l’a provoquée. Pour systémique que soit cette crise, le
chaos financier ayant pour origine la poursuite sans fin de l’accumulation de gains totalement
injustifiés sans la moindre limite, sociale, économique, écologique, etc., en est un élément
essentiel !
Qui d’autres que les propriétaires du capital organisent les moyens et contrôlent les
montants de cette ahurissante accumulation ? Ni eux, ni les autorités qui leur obéissent, ne sont
incompétents, ils ne commettent pas d’erreurs ; ils ont simplement recours à tous les moyens pour
combler leur besoins inextinguibles.
Se contenter de prétendre que la spéculation, particulièrement financière, étant la mère de
tous les vices systématiques, est celle qu’il faut supprimer, sans indiquer les mesures propres à y
parvenir, fut-ce par étape, laissent en paix les spéculateurs. Les velléités de Grand Soir ne peuvent
rester qu’au niveau du verbe ou, quand elles se transforment en actions politiques, l’Histoire
montre, qu’elles ont tôt fait de devenir monstrueuses. Réclamer la séparation qui vient d’être
évoquée ne signifie pas, bien entendu, la fin du capitalisme, pas davantage que l’instauration d’une
taxe sur les transactions financières, elles font néanmoins partie d’une régulation de nature publique
propre à l’empêcher pour poursuivre sa course démente.

Refuser ces dispositions au prétexte
qu’elles ne résolvent pas tout -ce qui est parfaitement exact-, relève d’un fol espoir de type naïf, ou
pire, fallacieux.
Il y va de la fin de la multiplication, partout sur la planète, des « plans sociaux » de
tous poils et, plus généralement, de pouvoir ne plus supporter qu’un milliard d’êtres humains,
souffrent de la faim, que 40 % des 7 milliards peuplant la planète aujourd’hui, vivent avec moins de
2 dollars par jour. Au mépris, de surcroît, des générations à venir. Faut-il rappeler que les quelque
100 000 individus les plus fortunés, disposent d’avoirs financiers de près de 15 000 milliards de
dollars (lire dans ce numéro « La richesse dans le monde »). Ceux-la poursuivront leur périple
prédateur s’il n’y est pas mis fin.
A propos des mesures à prendre, on lira dans ce même numéro
« Ces centaines de milliards que l’État doit récupérer ».
Dans cette affaire de manipulation du Libor, personne ne peut croire sérieusement que la
démission de R.E. Diamond, l’ancien président de Barclays résoudrait, ainsi après l’élimination
d’une « brebis galeuse », quoi que ce soit. D’abord, ce cher Bob, à double citoyenneté étasunienne
et britannique, n’est pas n’importe qui dans le milieu bancaire ; avant de diriger la banque anglaise,
il était passé par Morgan Stanley et le Crédit suisse First Boston. C’est un Monsieur très sérieux,
reconnu par ses pairs et tout le milieu bancaire ; on suppose que c’est pourquoi il a été désigné en
2010 par le New Statesman’s annual survey comme faisant partie des cinquante hommes les plus
importants ! Ensuite, tous les experts nous disent que la manipulation du taux exige une vaste
« coopération » du milieu bancaire au plus haut niveau.
D’ailleurs, après Barclays, la liste de
« nominés » n’en finit pas de s’allonger : HSBC, Royal Bank of Sctotland, UBS, Deutsche Bank, JP
Morgan, Citi ; ces établissements sont désormais assignés à comparaître par les États de New York
et du Connecticut. En outre Citibank, JPMorgan, Chase et Bank of America sont poursuivis par
certains de leurs clients...

A crise systémique, réforme systémique !