
L’avenir de « l’agriculture, l’alimentation et la forêt » est en discussion au Parlement. Le projet de loi défendu par le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll doit redéfinir notre modèle agricole pour les années à venir.
Parmi les agriculteurs, deux visions s’affrontent. Celle de la FNSEA, incarnée par Xavier Beulin, l’« agrobusiness man » réélu à la tête du syndicat agricole majoritaire. Et celle de la Confédération paysanne, dont le porte-parole Laurent Pinatel, défend une agriculture à taille humaine, moins polluante, privilégiant les filières courtes.
Tout les oppose.
A droite, Xavier Beulin, l’« agrobusiness man » qui dirige depuis 3 ans la FNSEA, le syndicat agricole majoritaire (53 % aux élections des chambres d’agriculture) qui a fortement influencé toute la politique française en la matière depuis l’après-guerre. Xavier Beulin dirige l’empire Sofiprotéol, le leader français dans les huiles de colza, de tournesol ou de soja. Un fonds d’investissement aux multiples filiales, impliqué dans les agrocarburants, le développement des OGM, la sélection génétique animale et végétale ou la « chimie verte ».
A gauche, Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne (19 % des voix) depuis mai 2013. Laurent Pinatel ne dirige pas d’empire agro-industriel et financier. Juste une ferme, dans la Loire, avec deux associés. Installé depuis 1995, il produit du lait et de la viande bovine, dont une large part sont transformés puis vendus en circuits courts. Une agriculture davantage paysanne. « C’est une agriculture centrée sur l’autonomie des fermes », explique t-il à Basta !. Nous avons par exemple développé l’autonomie en céréales, mais c’est aussi l’autonomie financière et décisionnelle. De quelle capacité se dotent les paysans pour décider eux-mêmes de leur revenu, de leur prix, des pratiques qu’ils peuvent avoir ? »
Agriculture paysanne contre agriculture industrielle (...)
Que dit le projet de Loi d’avenir agricole, fort de ses 39 articles, d’un modèle agricole, version usine Mille vaches ? Il s’y attaque indirectement. Le texte prévoit de contrôler à nouveau les acquisitions de terrains par les sociétés agricoles. Celles-ci peuvent jusqu’à présent agrandir démesurément le foncier qu’elles possèdent en toute discrétion grâce à des transferts de parts (voir notre enquête). C’est ce qui a permis à l’industriel Michel Ramery d’acquérir les terres et quotas de production nécessaires à son projet de ferme usine des Milles Vaches. Xavier Beulin, réélu le 9 avril à la tête de la FNSEA pour un deuxième mandat, est lui-même dirigeant de la holding Sofiprotéol qui pèse près de 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Un modèle agricole version Milles Vaches ne le dérange pas. Au contraire, le président de la FNSEA l’affirme : « Celui qui a deux hectares, trois chèvres et deux moutons n’est pas agriculteur ».
Qui a le droit d’être agriculteur ?
Le patron de la FNSEA risque d’être déçu. Le projet de loi d’avenir agricole ouvre le métier et reconnaît les paysans autrement que par la taille de leur exploitation. Jusqu’à présent, des dizaines de milliers de personnes exercent le métier d’agriculteur, cotisent au régime agricole, mais ne bénéficient d’aucun droits sociaux du fait de leur trop petite installation (lire ici). La nouvelle loi les reconnaît (...)
Le ministre Stéphane Le Foll souhaite reconnaître et renforcer toutes les initiatives collectives favorisant les changements de pratiques dans les campagnes, grâce au Groupement d’intérêt économique et environnement (GIEE). Concrètement, le GIEE permettrait aux agriculteurs engagés dans une transition agroécologique et regroupés autour d’un projet collectif de bénéficier prioritairement d’aides financières. Un groupe d’agriculteurs qui voudraient gagner en autonomie fourragère ou commercialiser ses produits en circuits courts pourraient ainsi constituer un GIEE, à la condition que leur projet améliore leurs résultats économiques et environnementaux.
Un projet séduisant à la base selon Laurent Pinatel, mais pour lequel « il manque un aspect social et un cadre suffisamment précis pour empêcher que ces aides bénéficient encore aux gros producteurs ». Si les aides ne sont pas plafonnées, par ferme et par GIEE, des projets énormes risquent de surgir et de capter tous les budgets au détriments d’autres initiatives. Le président de la FNSEA, Xavier Belin, redoute, lui, que la priorité donnée à ces structures n’entraine « un risque de perte de compétitivité » pour toute la filière. Et c’est peut-être là toute l’ambiguïté du projet de loi qui jongle entre le « tournant agroécologique » et la « vocation exportatrice » de l’agriculture. L’enjeu étant tout à la fois de redonner de la compétitivité économique à ce secteur qui pèse 3,5 % du PIB, tout en améliorant ses performances environnementales.
Pesticides : liberté de polluer ? (...)
Cette ambiguïté est particulièrement ressentie dans le volet phytopharmaceutiques. Première utilisatrice de pesticides au niveau européen, troisième à l’échelle mondiale, la France détient un triste palmarès. D’où l’importance pour Laurent Pinatel d’avoir fait évoluer ses pratiques. « J’ai mis jusqu’à quinze tonnes d’ammonitrates (engrais minéral azoté, ndlr) sur 70 hectares. Nous sommes passés en bio depuis un an et nous n’en mettons plus du tout », assure t-il. Mais le projet de loi ne se révèle pas aussi volontaire en la matière. Si le vendeur de produits phytopharmaceutiques est tenu – à titre expérimental – de mettre en œuvre des actions ayant pour objet de réduire leur utilisation, il lui reste également la possibilité d’acheter des « certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques ».
L’acquisition de ces certificats – qui pourraient ouvrir de nouveaux marchés de compensations souvent controversés – libèrerait le vendeur de ses obligations (...)
Cette ambiguïté est particulièrement ressentie dans le volet phytopharmaceutiques. Première utilisatrice de pesticides au niveau européen, troisième à l’échelle mondiale, la France détient un triste palmarès. D’où l’importance pour Laurent Pinatel d’avoir fait évoluer ses pratiques. « J’ai mis jusqu’à quinze tonnes d’ammonitrates (engrais minéral azoté, ndlr) sur 70 hectares. Nous sommes passés en bio depuis un an et nous n’en mettons plus du tout », assure t-il. Mais le projet de loi ne se révèle pas aussi volontaire en la matière. Si le vendeur de produits phytopharmaceutiques est tenu – à titre expérimental – de mettre en œuvre des actions ayant pour objet de réduire leur utilisation, il lui reste également la possibilité d’acheter des « certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques ».
L’acquisition de ces certificats – qui pourraient ouvrir de nouveaux marchés de compensations souvent controversés – libèrerait le vendeur de ses obligations
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La filière agroalimentaire française figure pour le moment au cinquième rang des pays exportateurs mondiaux, derrière les États-Unis, l’Allemagne, la Hollande et le Brésil. « L’agroalimentaire c’est 3 500 000 emplois dont la moitié dans la transformation », insiste le dirigeant de la FNSEA, malgré les déboires de ce modèle, en Bretagne notamment. Le ministre de l’Agriculture l’assure, la France doit redevenir « le premier exportateur européen des produits agricoles et agroalimentaires et deuxième mondial d’ici dix ans ». Avec la nomination d’un « médiateur des relations commerciales », la voie choisie par le gouvernement est claire : celle d’une agriculture exportatrice créatrice d’emplois, non pas dans les campagnes mais dans l’agroalimentaire. La loi, encore en discussion au Sénat, devrait être adoptée par l’Assemblée nationale avant l’été.