
Comment peut-on qualifier la stratégie de défense médiatique d’Adrien Quatennens dans l’affaire de violences conjugales qui l’oppose à son ex-compagne ?
Noémie Trovato : L’acronyme DARVO – Deny, Attack, Reverse Victim and Offender, soit « nier, attaquer et inverser la victime et l’agresseur » -, décrit cette stratégie de retournement de l’agresseur. Concrètement, la personne accusée va nier les attaques portées, contre-attaquer, et inverser les rôles, se faisant passer pour la victime et sa victime pour l’agresseur.
Adrien Quatennens s’y inscrit totalement. Les recherches sur les violences conjugales montrent que les hommes violents choisissent souvent de reconnaître une infime partie des violences pour lesquelles ils vont être jugés, car les preuves matérielles sont là. Ça leur permet de nier le reste, de contre-attaquer, notamment dans les médias, et renverser les rôles victime-oppresseur.
Dans son interview sur BFMTV, Quatennens a énormément répété le mot « victime » pour parler de lui-même alors qu’il venait d’être condamné pour violences conjugales. C’était assez spectaculaire, au point que même Bruce Toussaint, qui menait l’interview, s’est vu obligé de lui rappeler qu’il était « un agresseur ».
Adrien Quatennens vient d’un parti de gauche, qui soutient le mouvement #MeToo, se positionne contre les violences conjugales… Pourtant, dans cette situation, il a fait le choix d’une stratégie qualifiée d’antiféministe. Dans vos recherches, vous évoquez un échec discursif de MeToo, peut-on lier les deux ?
Une fois que la parole est libérée, il n’y a plus personne. Pas plus à gauche qu’ailleurs.
#MeToo n’a pas fonctionné plus à gauche que dans la société. Il y a eu une libération de la parole, certes, mais ça s’arrête là et on touche à un problème de fond que les féministes de La France Insoumise ont pointé : le manque de suite aux dénonciations. Clémentine Autain a expliqué qu’elle n’était pas du tout d’accord depuis déjà longtemps avec la façon dont les violences sexistes et sexuelles (VSS) sont gérées.
Les interventions de Jean-Luc Mélenchon ont régulièrement été un désastre pour les victimes en matière de VSS. Comme s’il considérait que le mouvement féministe allait trop loin. Ce n’est pas un retournement de veste puisque c’était sous-jacent dans le discours d’une partie des cadres masculins de LFI. L’erreur serait d’oublier que les hommes de gauche ne sont pas fondamentalement féministes.
Les avancées n’ont pas eu lieu dans la société en général, et en politique non plus : les affaires de VSS médiatisées récemment dans les partis de gauche le montrent une fois de plus. C’est pour ça que je parle d’échec discursif : une fois que la parole est libérée, il n’y a plus personne. Pas plus à gauche qu’ailleurs.
En théorie, il est admis à gauche que quand un homme commente des actes judiciairement répréhensibles, il est exclu, qui plus est quand il est condamné. Cette affaire nous montre que ce n’est pas le cas. Pourquoi est-ce un tel enjeu ?
La gauche a assez reproché à la majorité d’avoir gardé Darmanin ou Abad, malgré ce qui leur est reproché. Cela devrait la pousser à vouloir être la plus irréprochable possible à ce sujet. La charte de la France Insoumise montre qu’il est impensable de garder des auteurs de violences, qui plus est condamnés par la justice, en son sein. Ce qui place la FI en totale contradiction avec elle-même. Sauf à considérer qu’une gifle ne serait pas grave, comme on a pu l’entendre.
La parole des femmes doit être privilégiée.
La question subsidiaire, c’est quand les faits reprochés ne sont pas judiciairement répréhensibles, comme la majorité de l’affaire Bayou. On a tendance à dire que c’est plus compliqué. Le débat est loin d’être tranché. Mais la parole des femmes doit être privilégiée.
Comment identifier cette stratégie DARVO ?
Un exemple courant est l’homme qui explique que son ancienne compagne est folle, qu’elle veut lui ruiner la vie. Parfois, bien sûr, ça existe. Mais quand le premier réflexe d’un homme accusé de violences est de se positionner en tant que victime ou de dire qu’il s’agit de violences mutuelles, il faut écouter le discours avec une oreille critique, revoir les preuves apportées par la victime, recontextualiser les dynamiques de pouvoir. (...)