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Affaire Olivier Duhamel : comment les révélations de Camille Kouchner relancent le débat sur le délai de prescription
Article mis en ligne le 14 janvier 2021

Alors que le délai de prescription pour les crimes sexuels sur mineurs a été allongé à 30 ans en 2018, des voix s’élèvent pour demander leur imprescriptibilité, en particulier pour l’inceste, depuis que l’affaire Olivier Duhamel a éclaté.

(...) Camille Kouchner a levé le voile sur une affaire, tue dans une famille connue du grand public. Le parquet de Paris a annoncé, le 5 janvier, l’ouverture d’une enquête pour "viols et agressions sexuelles", mais les faits pourraient être prescrits. Camille Kouchner, qui est également juriste, suggère d’en faire "une infraction spécifique". "Pour la prescription, notamment : qu’on mette plus de temps à parler des siens que d’un inconnu, c’est quand même normal", détaille-t-elle le 4 janvier dans une interview à L’Obs (article pour abonnés). Elle alimente ainsi le débat sur le sujet, qui avait déjà surgi ces dernières années, notamment avec les révélations de viols subis par Flavie Flament lorsqu’elle était enfant.

En droit français, la prescription est un principe général qui désigne le délai prévu par la loi, passé lequel la justice ne peut plus être saisie. (...)

"Mon frère et moi avons 45 ans. On devrait pouvoir déposer plainte, mais on ne peut pas, parce que cette modification de la loi n’est pas rétroactive. Elle exonère ainsi les gens qui ont l’âge de mon beau-père, la génération de ceux qui ont réfléchi à la pédophilie dans des termes beaucoup trop souples... Donc, la justice ne leur imposera pas d’assumer leurs actes", regrette Camille Kouchner dans son entretien à L’Obs.

Néanmoins, dès qu’il y a plainte ou enquête, le délai est réinitialisé après le dernier acte de justice, comme l’expliquait le commissaire Georges Moréas sur son blog hébergé par Le Monde, au moment de la publication du Consentement, de Vanessa Springora. Ce qui fait de chaque affaire un cas particulier. Ainsi, pour les faits dont Olivier Duhamel est accusé, le procureur de Paris, Rémy Heitz, a bien précisé que la Brigade de protection des mineurs de la Direction régionale de la police judiciaire doit, dans le cadre de son enquête, "vérifier l’éventuelle prescription de l’action publique".

"La prescription, c’est la paix pour les violeurs et les criminels", dénonce à franceinfo Emmanuelle Piet, présidente du collectif féministe contre le viol (CFCV), qui réclame depuis des années, à l’instar de nombreuses associations, l’imprescriptibilité de tous les crimes commis sur les mineurs, et pas seulement l’inceste. (...)

Alors que le CFCV a mis en place un numéro vert, le 0800 05 95 95, pour recueillir la parole des femmes violées et les informer, "on a souvent des femmes qui parlent de viols subis dans l’enfance, dont elles n’ont pas parlé avant", expose-t-elle. De fait, dans près d’un tiers des cas, il faut entre dix et dix-neuf ans pour que les victimes s’expriment. Ce délai passe même à plus de vingt ans pour 17% des femmes et 22% des hommes, selon une enquête de l’Ined publiée en novembre 2020.

Autre raison avancée : "On a souvent affaire à un violeur avec une ’carrière’ et de nombreuses victimes. (...)

C’est d’autant plus important pour les victimes d’inceste, estime Muriel Salmona, car les crimes ont lieu dans la famille, où elles sont "piégées". "Tant qu’on est en contact avec cette famille, il y a manipulation et coercition", constate-t-elle. "Il y a des systèmes d’omerta, de verrouillage du secret, surtout au sein des familles. Puis le secret finit par exploser mais c’est souvent trop tard : il y a prescription", pointe à l’AFP Céline Piques, d’Osez le féminisme.

"On est déjà allés très loin", considère Sophie Legrand, juge pour enfants et secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, contactée par franceinfo.

"Avec un délai de prescription plus long, on va donner aux victimes l’illusion que la justice va venir réparer longtemps après les faits."

"Dans les affaires de viols, plus le temps s’écoule, plus les éléments de preuves, comme les témoignages ou les traces ADN, deviennent ténus et sujets à caution", pointe-t-elle. Si la magistrate est favorable à ce que le délai de prescription démarre à la majorité, elle plaide par ailleurs pour une forme de droit à l’oubli, c’est-à-dire la possibilité de prononcer une peine qui permette à la personne condamnée de se réinsérer. Incompatible, à ses yeux, avec l’imprescriptibilité.

Mais pour la plupart des victimes, l’argument n’est pas entendable. (...)

Pour d’autres, l’onde de choc provoquée par le livre de Camille Kouchner se propage bien au-delà, et les réflexions qui en découlent sont plus larges, notamment sur la libération de la parole. Car d’après les dernières révélations, dans l’affaire Olivier Duhamel, un grand nombre de personnes, au sein de la famille mais aussi dans le cercle d’amis, était au courant des accusations d’inceste. "Alors, pour moi, le vrai débat est sur la prescription du délit de non-dénonciation, actuellement de seulement six ans et qu’il faut aligner sur les trente ans du viol", avance au Parisien Rodolphe Costantino, avocat pénaliste qui a notamment défendu l’association Enfance et partage. Un autre débat.