
Grand tollé autour de l’affaire Matzneff : certains de ceux qui moquent les indignations actuelles ou ironisent sur les silences passés ont attendu la prise de parole de Vanessa Springora avant de finalement prendre position. Alors qu’ils s’étaient tus auparavant.
Les prises de parole consécutives au mouvement #MeToo, puis les témoignages précis, corroborés par une enquête journalistique minutieuse, comme celui d’Adèle Haenel avec les investigations menées par Marine Turchi (Mediapart), ont ouvert la boîte de Pandore. La parole se libère, des récits accablants sont publiés, dans des milieux professionnels où régnait l’omerta. Ce ne sont donc pas que des curés déviants ou des loubards de quartier qui font régner la terreur sexuelle. Les bien-pensants doivent finalement convenir que, dans des salons feutrés, sur des plateaux de tournage, dans les salles de gym clean ou sur les terrains de sport sélects, des hommes, en situation d’autorité, aggravant ainsi leur cas, se permettent d’abuser de mineurs et mineures qu’ils ont sous leur coupe.
Ceux qui n’ont pas vu, ont fermé les yeux ou carrément toléré, sont conduits à devoir s’expliquer. Comme c’est le cas, aujourd’hui même, pour Didier Gailhaguet, président de la Fédération française des sports de glace, qui se défend bec et ongles et met en cause d’autres silences.
Je voudrais juste aborder le cas de l’écrivain Gabriel Matzneff, mis gravement en cause par Vanessa Springora dans son livre Le Consentement, où elle dénonce par le menu la méthode d’emprise de cet homme, qui entretenait une relation intime avec elle alors qu’elle n’avait que 13 ans, et lui 49. Liaison au vu et au su de beaucoup, surpris, choqués ou tolérants. L’écrivain avait alors pignon sur rue, après avoir été très prisé dans les salons de l’édition et avoir eu son heure de gloire sur certains plateaux de télévision (tout penaud, Bernard Pivot est venu à C à vous reconnaître son manque de discernement). (...)
Elle a mis longtemps à se libérer parce qu’elle avait donné son « consentement » (« non éclairé »), et parce que, pour des raisons familiales, l’attention qu’il lui portait comptait beaucoup pour elle. Par ailleurs, son propre entourage, qui avait toujours su, n’avait rien fait. Le grand écrivain et philosophe, Emil Cioran, auquel elle s’était confiée, lui a simplement demandé de « se pacifier » et de « continuer à accompagner [Matzneff] sur le chemin de la création » ! Elle a compris alors que « les écrivains étaient des vampires, utilisant le sang de leurs victimes pour l’encre de leurs livres ». (...)
A propos de Frédéric Mitterrand qui avait raconté dans La mauvaise vie (2005) son tourisme sexuel en Thaïlande, je notais qu’une fois nommé ministre de la Culture de Nicolas Sarkozy en 2009, il avait nié avoir voulu parler dans ce livre, annoncé comme autobiographique, de mineurs quand il évoquait ses relations sexuelles avec des « garçons » ou des « gosses ». « La polémique qui s’était alors déclenchée n’avait pas empêché le ministre de la Culture d’exercer sa mission. L’inénarrable Henri Guaino l’avait défendu, avec son adresse habituelle, en s’insurgeant contre une « polémique aussi pathétique » qui survenait « avec autant de retard » : « il n’y a pas de faits, il a écrit un livre ». Sous-entendu, ce n’est que littérature et puis c’est ancien. » (...)