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ADRESSE A CERTAINS … intellectuels, journalistes, romanciers et à toutes celles et tous ceux qui croient connaître les jeunes des quartiers...
Ceci est un texte collectif qui émane du collectif Aggiornamento. La mouture initiale est de Hayat el Kaaouachi. Il a été ensuite soumis à signatures de façon plus large
Article mis en ligne le 4 mars 2015

Mesdames, Messieurs,

Ceci est une invitation. Une proposition des plus honnêtes.

Entre vous et nous, les désaccords peuvent être nombreux, radicalement ancrés dans des conceptions bien différentes de la France et de la République. Ce qui vous inquiète et vous hérisse nous interroge parfois, sans nous faire douter de la légitimité de notre travail, de nos combats, de la société dans laquelle nous vivons. Nous n’avons pas votre rapport pathologique à la jeunesse de France. Nous refusons d’en faire avec vous un portrait caricatural qui rassure vos postures sociales. Votre vue vacillante et triste de notre pays, nous la refusons, préférant œuvrer au quotidien à l’éducation de tous pour des lendemains qui chantent.

(...) Loin de nous l’idée de vous faire la leçon ou de vous convertir. Voyez plutôt cela comme une rare opportunité de palper cet objet fantasmé qui vous fait tant peur et que vous croyez connaître. Venez dans nos établissements des quartiers populaires, venez dans nos classes sur les bancs de nos élèves. Voyez comme ils écoutent et parlent, voyez comme ils pensent. Il ne s’agira pas pour vous d’une visite au zoo, il ne s’agira pas pour eux de vous séduire. Nous vous proposons une rencontre, un échange d’au moins une journée. Prenez le temps de vous asseoir face à eux et de leur dire directement ce que vous pensez d’eux. Comme ils vous déroutent, comme ils vous inquiètent, comme ils vous sont étrangers. Ayez le courage de leur faire face, de répondre à l’indignation, à la colère, au désintérêt de ces enfants et adolescents de la France des marges. Vous pourrez leur demander directement pourquoi ils sont si peu reconnaissants envers la République. Vous les verrez vous rendre vos sourires gênés et vos piques verbales, votre profond mépris.

Mais vous serez dans la vraie vie. Celle du chômage, des discriminations, de la rue, du délabrement urbain, de la débrouille, et de toutes ces réussites joyeuses que bien souvent vous négligez. Vous dépasserez ainsi les dénonciations stériles, les débats caricaturaux de l’entre-soi.

Nous serons là aussi. Enseignants de collèges et de lycées ZEP, REP ou sensibles. Nous vous montrerons cet indéniable dynamisme démographique, sportif, culturel, artistique des quartiers. Pour ceux qui y travaillent les yeux bien ouverts et sans y faire œuvre de missionnaire, il y a cette évidence folle et parfois brusque d’une énergie à voir et à entendre, à accompagner. Cet optimisme que nous avons, vous préférez toujours y voir du déni, voire de l’angélisme. Mais nous ne nions pas certaines difficultés. Nous les voyons et avons longtemps été les premiers à en appeler aux politiques et intellectuels pour défendre l’Ecole pour tous avec force et moyens. Nos mots (maux) ont rarement suscité autant d’intérêt qu’aujourd’hui où l’Ecole sert de paravent aux politiques de gauche comme de droite, et nos revendications de terrain ont la plupart du temps été résumées à « plus de moyens » pour des gens « souvent en vacances ».

Or, jour après jour, nous sommes témoins de ces plaies, de ces failles qui aspirent certains, de ces absences et démissions nombreuses d’une République plus centrale que périphérique. Nous enseignons la liberté, l’égalité en précisant aux élèves qu’il s’agit de valeurs à défendre en continu alors même que par endroits elles restent à créer. Nous répondons à leurs critiques légitimes, à leur scepticisme, à leur amertume qui isolent et altèrent irrémédiablement le corps social. Et nous gérons notre schizophrénie, celle de ceux qui transmettent un message que la rue contredit.

Toutes ces tensions qui chez vous n’appellent que la condamnation, la sentence bien-pensante, nous les inscrivons dans la réalité, une histoire nationale chargée pas toujours assumée et une complexité du monde. Nous entendons les cris stridents d’une petite minorité de jeunes mais nous voyons aussi la générosité, l’envie, l’humour et la curiosité du plus grand nombre. (...)

Mesdames, Messieurs, les jeunes des quartiers populaires méritent mieux que vos discours lointains, ils méritent qu’on leur parle en face. Nous les voyons évoluer, nous suivons ces esprits jeunes qui, quoiqu’on en dise, dans la contestation, le silence, l’engagement ou même la colère, sont ici bien chez eux et ne se voient vivre nulle part ailleurs.

Votre République, notre République, c’est la leur. Et au vu de nos âges respectifs, reconnaissons qu’ils en sont davantage l’avenir que nous, quelle que puisse être notre postérité. (...)

Entendez, voyez, dialoguez, répondez, partagez vos lumières. Rendez concret ce vivre ensemble que vous croyez voir faillir dans les quartiers populaires, alors que plus que n’importe où ailleurs en France, s’y côtoient, s’y mélangent, s’y nourrissent, s’y moquent et s’y entraident des histoires venues de tous les continents.

Les signataires de cette invitation enseignent toutes et tous dans les quartiers populaires. À l’image d’une grande part des élites intellectuelles et médiatiques que vous représentez, ils ou elles travaillent en majorité près de Paris. Nous espérons que vous n’en trouverez que plus de facilités à honorer l’invitation qui vous est ici faite en choisissant dans la liste suivante celui de leurs établissements qui vous conviendra le mieux [1], au gré de vos résidences et de vos déplacements : (...)