
Au onzième jour de l’occupation du bâtiment E, l’ambiance est festive et joyeuse, et les étudiants refont le monde en attendant une évacuation promise mais qui ne vient pas. Reportage parmi les quatre amphis mobilisés, transformés en « commune libre et autogérée ».
Depuis l’esplanade principale de l’université, ensoleillée et verdoyante, on ne distingue rien qui sorte du cours normal des choses. Il faut contourner plusieurs bâtiments et traverser un parking afin de parvenir devant une petite porte donnant accès au bâtiment E. Marie, 18 ans, étudiante en première année de licence d’anglais, organise l’accueil. « On pensait être expulsés ce matin, mais on est encore là », se réjouit la jeune femme, pull blanc, bonnet vert sur la tête, enveloppée dans un plaid gris.
Depuis onze jours, avec plusieurs dizaines d’étudiant·es, elle participe à l’occupation et au blocage de l’annexe de la faculté de droit. Le bâtiment vétuste comporte quatre amphithéâtres. À l’intérieur du D2, rebaptisé « Louise Michel » depuis le démarrage de l’action, « pour donner de la visibilité à des femmes qui ont joué un rôle historique », l’activité universitaire classique n’est plus.
On découvre un joyeux bazar (...)
« L’occupation des bâtiments a démarré lundi 6 mars à la suite d’un vote en assemblée générale », explique Kylian, 18 ans, étudiant en histoire, bonnet noir et sweat-shirt à capuche blanc. Les bloqueurs et bloqueuses ont entrepris, dès le lendemain du démarrage de l’occupation, d’empêcher l’accès à l’intégralité du campus 1 de l’université de Caen. Face à ces velléités, la présidence de l’université a décidé d’une fermeture administrative de celle-ci. « Une tentative de nous invisibiliser », estime Marie.
Si l’action s’inscrit dans le vaste mouvement de contestation de la réforme des retraites, elle dépasse largement ce seul cadre. « On demande le retrait de la réforme des retraites mais pas seulement. Nous avons des revendications plus spécifiques sur la condition étudiante, comme la banalisation des cours les jours de grève nationale, la réouverture d’un centre de soins médicaux gratuits à destination des étudiants, les repas Crous à 1 euro ou encore la revalorisation des bourses », liste Kylian. Ludovic, frêle étudiant en école d’art, résume ce qui constitue la trame centrale de ce blocage : « Il n’y a plus de lieux qui permettent aux étudiants de s’exprimer, de discuter librement. On essaie de réparer cela pour contrer la dépolitisation de la jeunesse et le développement à outrance de l’individualisme. » (...)
L’occupation a permis d’organiser des projections de films, une assemblée générale lycéenne, une représentation théâtrale, des cours d’éducation populaire, des concerts et des débats en tout genre. (...)
Depuis le matin, de petites grappes d’étudiant·es pénètrent dans l’antre caennais de la contestation sociale et étudiante. Certain·es passent juste la tête. D’autres restent plus longtemps et discutent avec des bloqueurs. (...)
Les bloqueurs et bloqueuses, un noyau dur d’une trentaine de personnes, se sont organisé·es pour pouvoir tenir dans la longueur. « Nous avons mis en place différentes commissions, logistique, nourriture, éducation populaire… On reçoit également beaucoup de soutiens de gens extérieurs qui nous apportent de la bouffe ou qui donnent de l’argent pour organiser le ravitaillement », relate Jherakl, étudiant en école d’art. Olga, professeure de lycée à Caen, fait justement son entrée dans l’amphithéâtre « Louise Michel ». Elle apporte des produits ménagers et de la badiane, un fruit aux propriétés médicinales venu d’Asie. (...)
À ce stade, les foudres de la répression ne se sont pas encore abattues sur les bloqueurs et les bloqueuses. (...)
De son côté, le président de l’université a adressé dimanche 12 mars un courriel à l’ensemble des étudiant·es et personnels de l’université pour réaffirmer « son opposition totale à la stratégie de blocage de l’établissement comme mode de mobilisation ». (...)