Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
À Nice, le logement social au mérite
#logement #expulsions #inegalites
Article mis en ligne le 11 avril 2023
dernière modification le 10 avril 2023

Alors que certains habitants du parc HLM de Nice vivent dans des conditions inquiétantes d’insalubrité, le bailleur social Côte d’Azur Habitat a lancé une gestion paternaliste et sécuritaire de son parc en brandissant la menace d’expulsion au moindre écart des habitants.

Écrasé par le poids des packs de bouteilles d’eau qu’il ramène à sa famille, le jeune fils de Soraya* avance en claudiquant dans l’impasse des Liserons. Ici, il y a longtemps que les habitants ne boivent plus l’eau du robinet qui sort parfois marron des tuyaux ou avec un goût si âcre qu’elle n’inspire pas confiance. (...)

Ce jour-là, coup de chance, l’ascenseur fonctionne. Pas besoin de gravir les escaliers jusqu’au cinquième étage avec ce fardeau. Pas besoin d’emprunter la cage d’escalier défoncée où le lino part en lambeaux et dont les murs maculés accusent, par endroits, des trous de dix centimètres.

Récemment, faute de lumière dans la cage d’escalier, un locataire âgé s’est cassé le bras en tombant. Comme dans tous les immeubles visités aux Liserons, une cité HLM de l’est de Nice, géré par Côte d’Azur Habitat (CAH), premier bailleur social de la région, les locataires font part du même sentiment d’abandon. (...)

Anthony Borré, le président de Côte d’Azur Habitat et également premier adjoint de Christian Estrosi à la mairie de Nice, a un mantra qu’il répète à l’envi : « Un logement social, ça se mérite. » En parcourant les allées de l’impasse des Liserons, on se demande ce que les habitants de la cité ont bien pu faire pour « mériter » d’être logés dans de telles conditions.

Malgré un entretien constant, le crépi blanc des murs de l’appartement de Soraya tombe en miettes par endroits, à cause de l’humidité. Dans la salle de bain, le plafond est presque noir de champignons. « Mon mari a repeint il y a quinze jours et c’est déjà revenu. On appelle le bailleur, ils nous disent qu’ils vont venir mais ils ne viennent jamais », rapporte cette mère de famille de trois enfants.

Une entreprise vient enfin de passer pour rafistoler son balcon. Un balcon qui, comme tous les autres de cette partie des Liserons, menaçait depuis des mois de s’écrouler.

L’an dernier, l’accès à tous les balcons a été interdit aux locataires après l’effondrement d’une rambarde en acier, qui n’avait – miraculeusement – pas fait de blessés. La petite école Aquarelle située juste en dessous a été fermée et il a été « recommandé de ne pas circuler dans les zones situées en pied de façades ». (...)

Le bailleur explique que l’ensemble des bâtiments va faire l’objet d’un ambitieux programme de rénovation d’ici à 2025 et 2027. Avec l’ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine), la Métropole Côte d’Azur va piloter la destruction de plusieurs bâtiments, et la rénovation de quelque 400 logements pour un coût total de près de 10 millions d’euros.

« Ça fait 20 ans qu’on attend », lance, désabusé, un habitant. (...)

Ils viennent de mettre le chauffage ! Au printemps ! Alors qu’on ne l’a pas eu pratiquement pendant tout l’hiver » (...)

Les radiateurs sont bouillants. « On n’a pas de robinet pour les régler ou les éteindre », relève cette habitante qui nous montre, factures à l’appui, l’explosion de ses charges cet hiver. (...)

Concernant les problèmes de chauffage, le bailleur répond qu’il n’a été saisi que d’une vingtaine de signalements et qu’il les a tous traités rapidement.
Des locataires « complètement abandonnés »

Zohra Briand, militante du DAL (Droit au logement), et désormais membre du conseil d’administration de Côte d’Azur Habitat, recueille depuis des mois les témoignages des habitants des Liserons sur l’insalubrité de leurs immeubles. « Ces locataires sont complètement abandonnés. Les habitants retapent les appartements eux-mêmes pour pouvoir continuer à y vivre. Certains ont investi près de 20 000 euros pour refaire leur logement en prenant un crédit », raconte-t-elle.

Cette infirmière relève aussi « la détresse psychologique », les « allergies » et « les troubles respiratoires » des habitants des Liserons. (...)

Depuis qu’elle a commencé ce travail et entrepris de le rendre public, elle a aussi constaté les pressions exercées sur les habitants qui ont eu le malheur de se plaindre auprès d’elle.

Car chez Côte d’Azur Habitat, on n’hésite pas à faire comprendre aux locataires que le « privilège » d’avoir un logement social peut leur être repris au moindre écart.

Au cours de notre reportage, tous les habitants rencontrés ont requis l’anonymat de peur de perdre leur logement.

La ville de Nice, qui ne possède que 12 % de logements sociaux (loin des 25 % imposés par la loi SRU), préfère payer des amendes colossales – 1,8 million d’euros l’an dernier – que de se conformer à la loi (...)

Depuis janvier 2023, un système de bonus-malus dans l’attribution des logements sociaux a été mis en place.

Les malus sanctionneront « les mauvais comportements, les incivilités, les dégradations de parties communes ou encore les refus de logements proposés qui correspondent pourtant aux critères ». Dans un document de la Métropole consulté par Mediapart, on se félicite ainsi de « récompenser l’attachement au territoire » des demandeurs de logement social. Un concept pour le moins étrange.

Transformer le parc social en « outil sécuritaire » (...)

Dans une allocution publique, Anthony Borré avait affirmé qu’il ne fallait « pas de logement social pour les ennemis de la République ». Une formule choc qui avait quelque peu ému. « C’est le discours de Macron contre les djihadistes avec des amalgames insupportables », déplore David Nakache. (...)

Pour toujours mieux « accompagner ses locataires », le bailleur social a aussi mis en place en 2021 une instance dérivée du conseil pour les droits et les devoirs des familles (CDDF), créé sous Sarkozy par la loi de prévention de la délinquance de 2007. Ce conseil permet de convoquer les familles lorsqu’un de leurs enfants rencontre des difficultés (de l’absentéisme au décrochage scolaire jusqu’à la petite délinquance). (...)

« Les habitants convoqués doivent s’y rendre. Sinon cela peut être mis dans leur dossier pour accélérer les expulsions », relève l’avocate Mireille Damiano qui a pu assister à ces étranges « mini-tribunaux » du bailleur social auquel participent des policiers et le procureur de la République. Là encore, c’est l’expulsion qui est brandie comme menace aux familles considérées comme défaillantes.

Une quarantaine d’habitants ont déjà été convoqués dans ce cadre. (...)

Très fier de ces procédures aux relents paternalistes et autoritaires, Anthony Borré publie régulièrement des images de ces conseils disciplinaires sur les réseaux sociaux. Avis aux locataires pas assez « méritants ».