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Mediapart
À Marseille, des videurs de squats au service des propriétaires
Article mis en ligne le 22 octobre 2021

La Brigade anti-squat était « unique en Europe », selon son patron. Désormais reconvertie, et loin d’être originale, l’entreprise a mis en lumière une pratique illégale et souvent plus discrète, le recrutement de gros bras pour déloger des squatteurs.

Depuis quelques mois, l’information circule dans le milieu des squats : une milice propose aux propriétaires de récupérer leur bien sans passer par la case justice.

Le 15 avril, Steftoto raconte sur Facebook sa rencontre, dans l’agence immobilière Century 21 de Saint-Antoine (15e arrondissement), avec trois hommes munis de talkies-walkies, vêtus de noir, chaussés de rangers, un brassard orange autour du bras floqué du logo « BAS ». « J’ai cru que c’était la BAC [brigade anti-criminalité – ndlr], ce qui m’a fait un peu flipper parce que je n’avais pas de masque », précise le témoin qui passait par là pour chercher un appartement.

Au premier abord, l’échange avec le responsable de l’agence laisse penser qu’ils enquêtent sur un cambriolage. « Puis ils ont demandé s’il y avait des soucis avec des squatteurs, précisant qu’il n’y avait pas de trêve hivernale pour leurs interventions. Petit à petit, on s’est rendu compte qu’ils proposaient de se faire payer pour surveiller d’éventuels logements vides ou intervenir sur des squats, en précisant qu’ils relogeaient immédiatement les occupants pour les faire dégager. »

Quand le responsable leur demande « Mais vous êtes qui ? », ils affirment être en lien avec la préfecture. S’il se souvient de leur visite, l’agent immobilier ne tient pas à s’étendre sur le sujet. « On a eu juste un contact ultra-rapide, explique son assistante. On ne veut pas côtoyer ces gens-là, on veut plutôt les fuir. » (...)

« Ces gens-là », c’est la Brigade anti-squat. La société a déposé ses statuts le 5 mars 2021. Domiciliée dans le 11e arrondissement, elle a pour objet « la protection d’immeubles vacants par leur occupation temporaire. L’assistance et le conseil aux propriétaires et gestionnaires de biens immobiliers, privés ou institutionnels, en matière de protection et de sauvegarde des propriétés et biens ».

Agente de service hospitalier dans une maison de retraite, la gérante, Rabia Caglieri, n’a pas vraiment le profil à monter une équipe de gros bras en tenues paramilitaires. Questionnée sur sa société, elle dit n’être au courant de rien et renvoie vers son mari. En effet, son époux, Denis Caglieri, revendique la création d’un concept « unique en Europe ». « Ça n’existe pas ce que j’ai créé, c’est de l’anti-squat pur. Quand un propriétaire m’appelle, je vais voir les squatteurs et je fais mon possible pour les sortir. Notre joker, c’est la promesse d’un relogement. Il y a deux sortes de squatteurs. Ceux qui n’ont pas le choix parce qu’ils sont à la rue et ont des enfants, eux, si on leur propose un logement, ils sont coopératifs et tout se passe bien. Et il y a des squatteurs qui sont là pour casser les couilles et n’en ont rien à foutre d’être relogés alors, à la limite, il faut les prendre à coups de pied pour les faire partir. Mais nous, on n’a jamais utilisé la force, d’ailleurs il n’y a aucune plainte contre nous. »

À l’évocation du cadre légal normal vis-à-vis des squats (un dépôt de plainte qui enclenche éventuellement une procédure d’expulsion à la demande du préfet ou du tribunal administratif avec, si nécessaire, l’appui des forces de l’ordre), l’entrepreneur balaie le sujet. « Je ne suis jamais tombé sur quelqu’un qui a refusé de quitter les lieux, sur un délire où ça a été compliqué. Le peu de fois où on est intervenus, c’est plus du social qu’autre chose, de la négociation. Ça s’est toujours bien passé, vraiment. »

Il refuse cependant de préciser où et quand la BAS est intervenue. Pour Denis Caglieri, les tarifs de la prestation relèvent eux aussi du secret professionnel. (...)

Seule fausse note dans ce concert de cinq étoiles, en juin Anne Paulus lance cette alerte : « Brigade Anti Squat est une ESCROQUERIE. Éloignez-vous ! Plus aucun mail à partir du moment où j’ai versé l’acompte, annulation de l’intervention sans aucune notification, et en plus menaces faites à ceux qui me représentent… c’est du joli. Ici démarre un contentieux. » Contactés par Marsactu, aucun des commentateurs n’a donné suite à nos demandes de précisions.

En revanche, il est certain que la BAS a changé d’activité et de nom le 2 juillet. Désormais dénommée Trésor des milles huiles, la SARL se consacre à la production et à la vente d’huile. (...)

Brigade ou pas brigade, ces derniers mois, l’inquiétude était forte dans les squats marseillais. « Il y a un mec en scoot’ qui tourne et prévient les squatteurs qu’ils vont être expulsés, constate Lola Perreaut, infirmière à Nouvelle Aube. C’est de l’intimidation, pour l’instant, il ne se passe rien derrière, mais c’est flippant. »

Voulant être surnommé « Monsieur Z », un grand échalas de 25 ans raconte à Marsactu avoir été recruté par des copains d’enfance pour participer à des descentes. « Ils procèdent toujours de la même manière. D’abord, un négociateur se pointe en mode diplomate et prévient qu’il vaut mieux partir. Si ça n’aboutit pas, la deuxième visite se passe à six heures du matin et cette fois les gars argumentent à coups de barre de fer et de bombes lacrymo. Ils ne s’attaquent pas aux squats bien organisés mais à ceux des migrants qui ne peuvent pas se défendre. » Payé 400 euros le coup de poing, il dit avoir arrêté parce que « ce n’est pas [s]on truc de [s]e lever tôt ».
Un promoteur en arrière-plan (...)

Avec ou sans pignon sur rue, le business anti-squat semble avoir de beaux jours devant lui.