
Ce n’est pas une surprise mais les chiffres le confirment. Les collèges bordelais fonctionnent avec un système à deux vitesses : le privé sous contrat concentre les enfants des familles les plus aisées, le public accueille tous les autres, et notamment ceux dont les parents subissent des difficultés sociales et économiques.
Mi-octobre, l’éducation nationale a été contrainte de rendre publics les indices de position sociale (IPS) de tous les collèges et les écoles de France, à la suite d’un recours déposé devant le tribunal administratif de Paris. L’IPS, créé en 2016, est un outil de mesure quantitatif de la situation sociale des élèves face aux apprentissages dans les établissements. (...)
Sur les 1257 élèves du collège privé Saint-Genès, 25 viennent de milieux défavorisés. Le Grand-Parc compte aussi près de 64% de boursiers, Grand-Lebrun 0,9%.
Quelques collèges publics résistent du fait de leur secteur géographique et de la sociologie des quartiers où ils sont implantés (Cassignol, Fournier, Emile-Combes). Deux ou trois collèges privés scolarisent un nombre raisonnable d’élèves de milieux défavorisés (Saint-Louis-Sainte-Thérèse, Le Mirail). Mais le constat est globalement accablant. (...)
Le prix, le choix, et l’entre-soi
Cette absence de mixité, au-delà de la tradition élitiste de certaines congrégations religieuses, comme les maristes, repose sur plusieurs facteurs.
Le privé est payant, à l’inverse du public, et n’indexe pas assez ses tarifs sur les revenus des familles qui s’inscrivent. La conséquence mécanique est la faible représentation des catégories populaires. (...)
Le privé choisit ses élèves, à la différence du public, qui a l’obligation d’admettre tous les enfants domiciliés dans son secteur. Le filtrage des dossiers scolaires agit comme un deuxième obstacle pour les élèves défavorisés, dont les bulletins sont souvent plus fragiles que ceux issus de familles privilégiées, et qui bénéficient rarement de parrainages pour entrer dans certains collèges privés « prestigieux ». Sans compter la possibilité, pendant la scolarité et en toute discrétion, de se séparer des quelques élèves n’entrant pas dans le moule, et que les collèges publics récupèrent.
La volonté d’entre soi des familles aisées entre également en ligne de compte. Fait sociologique et culturel majeur, l’effondrement de la pratique religieuse en France ces cinquante dernières années ne laisse pas place au doute : le choix des familles est guidé par la volonté d’évitement du public, et du secteur scolaire, et non par la pratique religieuse. (...)
Les conséquences
Cette ségrégation n’est pas sans conséquences pour l’ensemble du système éducatif. Les enfants des milieux défavorisés sont aussi impactés même lorsqu’ils fréquentent les collèges publics.
On sait que le principal travers de notre système scolaire est sa faible capacité à réduire les inégalités de départ entre élèves (...)
La captation des élèves privilégiés, et des meilleurs éléments, entraine la concentration dans le public d’élèves en très grande difficulté scolaire, sociale, économique, ce qui a un impact sur l’ensemble de l’effectif. (...)
Un enjeu démocratique majeur
Au-delà des constats et évaluations scientifiques, la promotion de la mixité sociale et d’origine est un enjeu démocratique majeur qui doit nous interroger sur la vitalité de nos valeurs républicaines. L’école est en effet le seul lieu ou l’ensemble d’une classe d’âge peut se rencontrer – certains ne se recroiseront plus –, et où peut se transmettre un sentiment d’appartenance de tous les enfants à la République. Y développer la mixité, c’est renforcer le rôle de l’institution scolaire dans la recherche d’une société plus égale et apaisée.
Pour l’heure, ni l’État, ni le privé ne jouent leur rôle. (...)
L’ampleur actuelle de la ségrégation scolaire au collège devrait donc conduire l’État à demander des comptes aux établissements privés sous contrat, financés au 3/4 sur fond public – on pourrait d’ailleurs parler de secteur au 1/4 privé seulement- et donc avec l’argent du contribuable. Mais l’État ne joue aucun rôle de régulation du recrutement, tandis que le privé, bien loin des valeurs du « catholicisme social », ne joue pas le jeu.
Armes égales
Si la liberté du choix de l’instruction est protégée par une décision de 1977 du Conseil constitutionnel, développer des outils pour faire participer le privé à l’objectif de réduction des inégalités sociales et scolaires, et œuvrer pour que les deux systèmes soient à armes égales, est parfaitement envisageable. On ne peut accepter une ségrégation scolaire tellement forte qu’elle contribue à l’importante inégalité de réussite des élèves selon leur origine sociale. (...)
Réguler le système
Des pistes existent. Comme le fait de centraliser le recrutement d’élèves du privé via une plateforme spécifique, indépendante ou non de celle du public, sur un territoire donné, pour rendre « transparentes » les méthodes d’affectation, les objectiver de manière à s’assurer qu’il n’existe aucune forme de discrimination des catégories défavorisées.
Il est également souhaitable de fixer des règles comme un taux minimum d’élèves boursiers inscrits et un respect de quotas sociaux que le privé s’auto-assignerait, dont il rendrait compte à la puissance publique, et qui conditionnerait les financements. Et aussi généraliser la modulation des frais de scolarité en allant jusqu’à introduire la gratuité pour les plus modestes
Le système scolaire français n’a de toute manière pas le choix. Il doit se réformer car la pression des inégalités sociales et scolaires va devenir de plus en plus forte.