
Le campement autorisé sur les quais, au niveau des Quinconces, a été déplacé cette semaine au parc des Sports-Saint Michel. Des cabanes y accueillent les sans-abris en situation de grande marginalité. Face aux critiques sur « la construction de bidonvilles en plein Bordeaux » , les associations La Maraude du Cœur et les Gratuits Gironde Solidaire à l’origine de l’installation défendent cette option provisoire de mise à l’abri des plus précaires.
« Je veux bien qu’on enlève tout, mais qu’on mette tout le monde à l’abri » s’agace Estelle Morizot. La présidente de la Maraude du cœur dit avoir débranché les réseaux sociaux pour ne plus avoir à lire les « horreurs » en réaction à l’ « aire d’accueil solidaire » voulue par son association et l’association des Gratuits Gironde Solidaire menée par Cecilia Fonseca.
Le campement, derrière le fronton du quai des Sports à Saint-Michel, irrite et suscite les critiques. « La misère à l’entrée de Bordeaux » commente un internaute. « Y a des bâtiments partout !! Et on se lave dans les fontaines ?? », « Il y a des logements vides et on laisse les personnes vivre dans des conditions indignes… », « J’ai honte !!! »
L’élu conseiller municipal de l’opposition bordelaise, Marik Fetouh, ironise :
« La gauche, maintenant au pouvoir, ne fait que maintenir la précarité la plus indigne en soutenant la construction de bidonvilles, qu’elle est obligée de déplacer régulièrement. A quand des solutions durables pour ces personnes ? Pour dire “y’a qu’à”, il y a du monde. Pour trouver des solutions, beaucoup moins… »
Alors que Amine Smihi, adjoint du maire de Bordeaux chargé de la tranquillité publique, de la sécurité et de la médiation, se félicite :
« Parce qu’il n’y a pas de solution express et que dans l’urgence de l’hiver et du froid, il faut pouvoir accompagner dans un partenariat respectueux des prérogatives de chacun et la discussion ceux qui chaque jours et chaque nuit sont au côtés des plus démunis. Un travail complémentaire à l’action sociale et à la recherche de solutions pérennes en intérieur. »
« Maçons de cœur »
Sur place, ce sont effectivement des cabanes qui sont bâties avec palettes en bois et bâches en plastique. Protégées par des barrières délimitant l’espace, elles sont alignées et se font face avec, fixé à l’arbre, un panneau précisant :
« Merci aux maçons du cœur. Cette 1ère Aire d’accueil en urgence a vu le jour en ce 1er WE de 2021 sous l’impulsion de la présidente de la Maraude du cœur de Bordeaux, Estelle Morizot. » (...)
« Dans les parkings, ils se font défoncer et au Palais des Sports ou rue Saint-Catherine, la police les vire. Quai Deschamps, les tentes ont été tailladées à coup de cutter. Aux platanes [premier campement sur les quais au niveau des Quinconces, NDLR], non seulement ils en avaient marre de faire le zoo parce que tout le monde les regardait, mais on s’est pris la grêle et 3000€ de matos et de tentes sont foutus. Dans ces cabanes, il fait déjà 5 à 6 degrés de plus par rapport au froid à l’extérieur. Alors qu’on soit ici avec l’assurance de la mairie de ne pas être délogés, on en pense ce qu’on veut mais c’est très bien faute de mieux. On préfère compter les cabanes plutôt que les morts de froid. » (...)
Grande marginalité
« Ce sont des personnes avec des problématiques divers comme la toxicomanie, l’alcoolisme, ou avec des animaux de compagnie, ajoute Cecilia Fonseca. Elles sont en cours de réinsertion et certaines sont même sur le point d’avoir un appartement. Pour les associations, c’est rassurant de savoir où les retrouver pour faire le suivi des dossiers. » (...)
Harmonie Lecerf, adjointe au maire chargée de l’accès aux droits et des solidarités, venue constater les installations une première fois déclare :
« Comme pour tous les sans-abris, on a ouvert la salle Gouffrand pour ces personnes. Mais c’est un public très craintif à qui il faut du temps pour se familiariser avec les conditions. Ils ont également des nécessités en matière d’accès aux soins comme se rendre à La Case [Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques des usagers de drogues, NDLR]. On est à la recherche d’une meilleure solution, mais même si on trouve un immeuble ou un hangar, on ne sait pas faire. On n’a pas les éducateurs qualifiés pour ces personnes en grande marginalité. »
Selon l’adjointe, « la mairie ne les a pas installées ici mais la mairie leur dit qu’elle ne va pas les déloger ». Elle renvoie la balle vers la préfecture qui « doit ouvrir de nouvelles places ».
Contactée, la Préfecture déclare (...)
« Ce genre de situations n’est pas souhaitable parce que cela peut provoquer un appel d’air. L’Etat a déployé des moyens colossaux pour la création de nouvelles places d’hébergements. En cinq ans, leur nombre a triplé. » (...) Elle indique en outre n’avoir, « sur un domaine public, aucun pouvoir pour intervenir dès lors qu’un accord est donné par la mairie ». Aussi, pour Estelle Morizot, c’est le début d’une initiative qui pourrait fleurir :
« Envisager une petite aire dans la ville, un algéco aménagé avec une douche et des toilettes, de l’eau et de l’électricité, pour qu’un sans abri y pose sa tente, ou que quelqu’un qui dort dans sa voiture puisse s’y mettre sans craindre la fourrière, c’est déjà offrir un peu de sécurité à ceux qui se retrouvent sans toit en attendant de se remettre à flot. Puisqu’il n’y a pas beaucoup de solutions, celle ci ne coûte pas très cher. »