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5 janvier 2024, trois féminicides et un menteur : Éric Dupond-Moretti
#femmes #feminicides #violences #DupondMoretti
Article mis en ligne le 8 janvier 2024
dernière modification le 7 janvier 2024

Deux salles, deux ambiances. Ce mardi 2 janvier, le Garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, a voulu faire sa rentrée politique sur la « baisse de 20 % » des féminicides en 2023 par rapport à l’année passée. L’occasion pour le ministre de saluer un « engagement de la justice française pour endiguer les féminicides [qui] porte tout de même ses premiers fruits ». Cet encouragement passe mal.

Car le même jour, le collectif NousToutes publiait un autre chiffre : deux féminicides étaient déjà à déplorer alors que l’année 2024 n’avait commencé que depuis quarante-huit heures. Un bilan qui s’est depuis alourdi : une troisième femme est morte étranglée par son conjoint, le 3 janvier.

En plus de ces drames, le chiffre donné par Éric Dupond-Moretti – 94 féminicides en 2023, contre 118 en 2022 – est contesté par plusieurs associations et collectifs féministes, dont NousToutes. « C’est une opération de com’ morbide », dénonce Maëlle Noir, membre de la coordination nationale de NousToutes. « Le ministre utilise des chiffres tronqués qui ne reflètent pas la réalité pour se féliciter de politiques publiques mises en place dont on sait qu’elles manquent cruellement de moyens. » (...)

« Les annonces faites par Éric Dupond-Moretti au Figaro sur les 94 féminicides en 2023 ne comportaient aucun mot pour les victimes du 1er et du 2 janvier. » (...)

Sur son compte Facebook, la Fédération nationale des Victimes de Féminicides (FNVF) conclue elle aussi sur ce chiffre de 102 féminicides. Elle note aussi que le ministère n’a pas réuni toutes les remontées des différents parquets. Pourtant, Le Figaro indiquait que le décompte révélé par Éric Dupond-Moretti reposait sur les « chiffres clôturés au 31 décembre ».

Contacté, le ministère de la Justice n’a pas répondu à nos sollicitations.

Mais la FNFV rappelle aussi un élément important : les 94 féminicides annoncés par le Garde des Sceaux ne concernent que les féminicides conjugaux. C’est précisément ce que pointe le collectif NousToutes, dans une publication sur Instagram. Ces cas de féminicides ne représentent qu’une des trois autres catégories existantes : en plus des femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint, il y a aussi les féminicides familiaux (par le père, le fils), et les féminicides dits « sociaux », c’est-à-dire produits dans le cadre amical ou professionnel.

Le recensement des féminicides est un outil clef dans la lutte contre les violences faites aux femmes (...)

En prenant en compte ces deux autres catégories, NousToutes arrive à un nombre total de 134 féminicides en 2023, dont 97 féminicides conjugaux, 17 féminicides familiaux et 20 féminicides sociaux. En 2022, le collectif recensait 147 femmes mortes en raison de leur genre.

Maëlle Noir, de NousToutes, rejette une « vision patriarcale du féminicide » de la part du gouvernement, limitant les cas au seul couple et écartant les autres « sphères de pouvoir et de violences » comme la famille ou le cadre professionnel et amical. (...)

Ce recensement pourrait être encore plus important si l’on prend en compte les tentatives de féminicides, que le collectif estime à 153 en 2023, les meurtres des femmes transgenres, les travailleuses du sexe ainsi que les « suicides forcés », c’est-à-dire les suicides qui résultent du harcèlement du conjoint ou ex-conjoint.

Cette infraction est inscrite dans la loi du 30 juillet 2020 et provient du Grenelle des violences conjugales tenu en 2019. Les auteurs peuvent être condamnés à dix ans d’emprisonnement et 150 000 d’amende. Le Monde rappelait à juste titre que la France était le premier pays en Europe et le deuxième dans le monde à avoir inscrit le suicide forcé dans le Code pénal. (...)

D’après les chiffres du ministère de l’intérieur évoqué par Le Monde, 759 femmes se sont suicidées ou ont essayé de le faire à la suite du harcèlement de leur conjoint ou ex-conjoint en 2023. Ce chiffre ferait bondir celui annoncé par Éric Dupond-Moretti dans Le Figaro. (...)

La définition du féminicide a donc une résonance hautement politique. Loin d’un seul enjeu sémantique, cette définition a des conséquences directes en matière de politiques publiques, mais aussi de prises de conscience au sein de la société.

Plusieurs associations ont voulu investir ce front. (...)

Aujourd’hui, la plupart des collectifs féministes qui œuvrent à des décomptes réguliers se basent sur les articles de presse qui évoquent les cas. Un processus qui les fait dépendre du traitement médiatique des féminicides. Un traitement inégal, tant les rédactions n’accordent pas toujours des moyens humains et économiques sur ces sujets. Mais qui tend, tout de même, à s’améliorer. Avant la publication d’un prochain rapport sur cette question, Maëlle Noir révèle un chiffre : entre 2017 et 2022, l’occurrence du mot « féminicide » dans la presse a été multipliée par 78. Pas suffisant, encore, pour élargir la définition dans la tête d’Éric Dupond-Moretti.