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Mediapart
L’intox du Sénat sur l’aide médicale d’État
#immigration #AME #Senat #Darmanin #extremedroite #santé
Article mis en ligne le 9 novembre 2023
dernière modification le 8 novembre 2023

Le Sénat vient d’adopter la suppression de l’aide médicale d’État, qu’il veut remplacer par une aide médicale d’urgence. La lecture biaisée des chiffres par les élus de la chambre haute néglige les vertus économiques de ce dispositif.

Les sénateurs et sénatrices, à l’initiative du groupe Les Républicains (LR), ont voté, mardi 7 novembre, la suppression de l’aide médicale d’État (AME), introduite par amendement au projet de loi immigration.

Ils veulent en effet remplacer l’AME, qui ouvre le droit à une prise en charge assez large des soins pour les personnes en situation irrégulière, par une aide médicale d’urgence. Ne seraient alors prises en charge que les « maladies graves » et « douleurs aiguës », les grossesses et les actes de prévention, dont les vaccinations. (...)

Au sein du gouvernement, la proposition divise. Le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, qui porte le projet de loi immigration, s’est déclaré, dans les colonnes du Parisien, favorable « à titre personnel » à la suppression de l’aide médicale d’État. Celle-ci est au contraire défendue par le porte-parole du gouvernement et ancien ministre de la santé Olivier Véran, qui a affiché un « vrai désaccord » sur le sujet avec le ministre de l’intérieur.

L’actuel ministre de la santé Aurélien Rousseau a lui aussi défendu devant les sénatrices et sénateurs « un dispositif indispensable, un dispositif de santé publique ». La première ministre, Élisabeth Borne, a elle aussi pris position lundi 6 novembre, sur France Inter : elle n’est « pas favorable à une suppression de l’AME ».

Le projet de loi immigration sera examiné en décembre par l’Assemblée nationale, où le parti Les Républicains est très minoritaire. Mais le risque est grand qu’une nouvelle fois l’accès à l’aide médicale d’État soit encore limité, victime des accords politiques que la majorité présidentielle tente de nouer avec la droite et l’extrême droite.

Depuis cent quarante ans, l’aide médicale d’État résiste aux assauts démagogiques et xénophobes : la France s’est en effet dotée dès 1893 d’une aide médicale gratuite, alors accessible à tous les malades privés de ressources, indépendamment de leur statut sur le territoire. Ce droit repose sur une série d’arguments. Le premier est la santé publique : une population privée d’accès aux soins peut développer des maladies transmissibles. Le deuxième tient à la déontologie médicale : un médecin « doit apporter son concours en toutes circonstances ». Le troisième argument est économique : un accès aux soins précoce permet d’éviter des prises en charge en urgence très coûteuses.

L’argument économique, en faveur d’un large accès à l’AME, est manipulé par des sénateurs et sénatrices qui n’hésitent pas à exagérer son coût (...)

Moins de 0,5 % des dépenses d’assurance-maladie

Rapportées aux dépenses d’assurance-maladie – 242 milliards d’euros en 2022 –, les dépenses de l’AME sont négligeables : moins de 0,5 %. (...)

Il existe par ailleurs de très nombreux freins à l’accès à ce droit, comme le détaille une enquête de l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes) : en 2019, ses chercheurs et chercheuses ont interrogé plus de mille personnes en situation irrégulière. Or, « près de la moitié des personnes sans titre de séjour déclarant souffrir de pathologies nécessitant des soins, comme le diabète ou les maladies infectieuses, ne sont dans les faits pas assurées pour la santé, ni par l’AME, ni par l’assurance-maladie de droit commun ».

Ce taux de non-recours a dû certainement augmenter depuis le 1er janvier 2021, date de l’entrée en application d’une nouvelle réforme de l’AME : les critères de résidence sur le territoire français, depuis au moins trois mois, ont été durcis. Mais surtout, les démarches administratives ont été compliquées (...)

Un labyrinthe administratif

Cinq associations – le Comité pour la santé des exilé·es (Comede), la Cimade, Médecins du monde, le Secours catholique – ont également enquêté sur les conséquences de la réforme de la 2019, notamment le service rendu par l’assurance-maladie. Le 3646 – le numéro d’accueil de l’assurance-maladie – donne des informations partielles ou erronées aux demandeurs et demandeuses.

Dans certains départements, quelques agences seulement prennent les demandes d’AME : elles ne sont que deux sur douze à Paris, et il n’y en a qu’une en Seine-Saint-Denis. Début janvier, les délais d’attente pour un rendez-vous étaient en moyenne de dix jours, et jusqu’à vingt-quatre jours dans le Val-d’Oise. quand ils se présentent au rendez-vous, plus de la moitié se voient refuser leur dossier, en raison de pièces manquantes ou parce que l’accès à l’agence leur a été refusé.

Et un tiers des personnes qui ont obtenu un droit à l’AME n’ont en réalité pas pu le faire valoir
Un droit vieux de 130 ans (...)

« On ferait mieux de s’intéresser aux rentes de situation au détriment de la qualité des soins dans le système de santé, plutôt que de s’attaquer à l’aide médicale d’État, qui porte des valeurs de notre système de santé dont on peut être fier. »

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 AME, regroupement familial, quotas : le Sénat s’acharne contre l’immigration

(...) Lundi 6 novembre, les premières discussions sur le projet de loi immigration ont débuté au Sénat après le discours général de Gérald Darmanin. Le texte « repose sur deux mots », a-t-il avancé, prônant la « fermeté » et la « simplification ».

70 % des demandes d’asile sont rejetées par la France, soit l’un des taux les plus élevés d’Europe.

Fermeté à l’endroit des étrangers « délinquants » – une expression qui désormais se retrouve dans chacune de ses prises de parole s’agissant d’immigration –, mais aussi à l’endroit des détenteurs d’une carte de séjour qui ne respecteraient pas les principes de la République, des passeurs qu’il assimile à des « criminels » ou encore des patrons voyous, dont il faudrait fermer administrativement l’entreprise lorsqu’ils embauchent « sciemment » des travailleurs sans papiers. (...)

70 % des demandes d’asile sont rejetées par la France, soit l’un des taux les plus élevés d’Europe. Dans son envolée lyrique, Gérald Darmanin s’est fourvoyé en insinuant que les juges de l’asile pourraient être sous influence : tout en vantant ce taux élevé de refus, il a déclaré avoir « des juges [de la Cour nationale du droit d’asile] qui en général écoutent la demande du ministère de l’intérieur », laissant entendre qu’une politique du chiffre pourrait leur être dictée quand ces derniers doivent faire preuve d’indépendance et d’impartialité.

À propos des juges de la liberté et de la détention, le ministre a suggéré vouloir leur imposer de ne pas libérer les personnes placées en rétention pour des raisons de forme (irrégularité ou vice de procédure) mais selon la dangerosité de la personne. Une disposition qui existe déjà dans le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, comme l’a fait remarquer Paul Chiron, juriste et membre de la Cimade, sur Twitter.

Parmi les amendements adoptés dans la soirée lundi, l’un concernait les quotas migratoires (sauf pour les demandeurs et demandeuses d’asile), auxquels Gérald Darmanin ne s’est pas opposé. Ils permettraient, a avancé Muriel Jourda, sénatrice LR et rapporteure du texte, de « dire autant que faire se peut qui va rentrer sur le territoire français ». « Les titres de séjour étranger malade ou étudiant doivent être contrôlés aujourd’hui », a-t-elle asséné.

Durcir l’accès au regroupement familial (...)

« Là, on est vraiment en train de toucher le fond en termes de dureté du texte, qui porte une vision extrêmement déshumanisée. » Patrick Kanner, président des sénateurs socialistes (...)

« Si on commence à dire qu’on peut accepter en France, dans l’élite de nos hôpitaux, des gens de pays parfaitement développés, parce qu’ils n’ont pas des hôpitaux au même niveau qu’en France, ça n’a plus de sens », a rétorqué, déplaçant le débat, Roger Karoutchi, le « Monsieur Immigration » du groupe LR au Sénat, à l’unisson avec le rapporteur du texte, le centriste Philippe Bonnecarrère, qui a expliqué que « quand un étranger demande à bénéficier d’une dialyse, la suite c’est la greffe rénale, vous voyez bien le sujet qui se pose…. ». Tous les amendements de suppression de la gauche ont reçu un avis défavorable du ministre de l’intérieur et ont été balayés. (...)