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Street Press
Après la prison, la ferme
#prison #réinsertion
Article mis en ligne le 16 octobre 2023
dernière modification le 13 octobre 2023

Quatre détenus sont en réinsertion à la ferme de Ker Madeleine.

Yvan, Rasta, Xavier et Christophe sont détenus. Ils tirent la fin de leur peine à la ferme de Ker Madeleine. Une réinsertion perdue en pleine campagne Loire-Atlantique, entre les tomates et les poivrons.

(...) Après un bon comportement en prison et une envie certaine de reprendre une vie normale, l’institution lui a permis d’intégrer la ferme de Ker Madeleine en janvier 2023. Il a dix mois pour tirer la fin de sa peine, perdu en pleine Loire-Atlantique.

Il faut prendre la route de Sainte-Marie, à la sortie de la petite ville de Saint-Gildas-des-Bois, pour trouver le bon panneau : « Ici, chaque vendredi, de 15h à 18h, on peut acheter des légumes en vente directe ». Bienvenue à la ferme de Ker Madeleine. Ouverte au printemps 2021, « c’est un sas de décompression entre un passé récent compliqué et un avenir incertain à préparer », résume Léo Duplan, co-directeur des lieux avec Pierre-Olivier Lucas. Sous le régime judiciaire du placement extérieur, Yvan, mais aussi Rasta, Xavier et Christophe (1) bénéficient tous les quatre de cet aménagement de peine en plein air. Un programme de réinsertion d’une durée de six à 12 mois, qui permet d’apprendre un métier, mais aussi de préparer progressivement la liberté et la reconstruction d’un projet de vie. Membre du Mouvement Emmaüs, l’initiative fait toutefois polémique dans le voisinage. (...)

Il y a aussi un couple de réfugiés arrivés d’Ukraine avec leurs neuf chiens et chats. Reste l’équipe permanente : deux directeurs, une chargée de vie communautaire, une accompagnatrice socio-professionnelle, un maraîcher et une éleveuse de chèvres. (...)

C’est une des règles de vie de Ker Madeleine : aucune question sur le passé judiciaire. Une façon de lever un peu le poids du stigmate de ces hommes pour la suite de leur parcours, une fois libérés de l’écrou, et remettre les compteurs à zéro. Raison aussi pour laquelle les noms ont été changés et leurs visages cachés, condition posée par l’administration pénitentiaire pour réaliser ce reportage. (...)

Reprendre confiance

« Un pote de prison est passé par ici », poursuit Rasta, envieux d’un endroit « cadré » et « tranquille » avant de retourner dans sa ville. Un temps qui lui permet de retrouver progressivement le rythme du monde du travail. « Sortir de la passivité de la vie en prison et se retrouver », résume-t-il :

« En détention, on ne peut pas se poser pour réfléchir : c’est la violence, il faut se faire respecter. Tu n’es jamais seul ou au calme. »
(...)

Chacun a sa chambre, une intimité et une autonomie perdues en détention. Ces fins de peine ont également le droit à cinq semaines de congés annuels, mais aussi des temps libres. « Quand on est en prison, on y est non-stop. Ici, on a des temps de repos, de travail, c’est différent », explique Rasta. Libre à eux de se poser dans les hectares verts de la propriété, d’avoir un hobby ou d’aller faire quelques courses au village – toujours accompagné par une personne de l’équipe ou un bénévole, c’est obligatoire. (...)

« Ils ont été cassés par la détention, et même avant dans leur parcours de vie. Ils ont peur de ne savoir fonctionner que dans l’échec. » (...)

L’association de réinsertion L’Îlot souligne dans un article que l’amélioration de la santé physique et mentale des détenus est un facteur important de réinsertion. Une situation administrative en règle, un emploi pérenne, ou pouvoir renouer avec des proches, sont autant de critères qui diminuent le risque de récidive. Bien qu’elle soit le fruit de multiples facteurs souvent imprévisibles. (...)

Un retour difficile en société

« Non aux détenus. » Devant le chemin qui mène à la ferme, une banderole défraîchie par les intempéries témoigne de l’hostilité des habitants de Saint-Gildas-des-Bois. « Nos enfants = danger », invective une autre. Cette opposition est née dès le début du projet en 2021. Le voisinage, empreint de doutes face à l’initiative qu’il juge « opaque », pointe le manque de sécurité. Les détenus libres de leurs déplacements font peur. (...)

Une autre banderole va beaucoup plus loin : « Pédophiles, radicalisés, violeurs ». Elle a depuis été retirée, condamnée par La Ligue des droits de l’Homme et le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples. Une projection des idées reçues concernant la population carcérale, bien éloignée de la réalité statistique des motifs d’incarcération. « Imaginez ce que ça fait de lire ça à chacune de vos sorties » questionne Marie-Laure d’un air désolé. Léo, le co-directeur, reste optimiste. « On croit dans le fait d’avancer tranquillement, que ça se passe bien, que les gens peuvent venir voir comment ça se passe. »

Pour les détenus, la sortie est toutefois un stress qui n’est pas arrangé par la polémique. (...)