Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Elucid Media/Chris Hedges journaliste et auteur américain
(USA )« Le pouvoir a été confisqué par une clique de milliardaires » - Chris Hedges
#pouvoir #milliardaires #inegalites #medias
Article mis en ligne le 19 décembre 2023
dernière modification le 17 décembre 2023

Les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, ainsi que les médias et les universités, ont été confisqués par une minuscule clique de milliardaires et de multinationales qui font voter des lois et des mesures législatives visant à consolider, à nos dépens, leur propre pouvoir et leur richesse scandaleuse. Nous sommes des victimes sacrificielles, que nous soyons de gauche ou de droite, impuissants devant cette incarnation moderne de l’idole biblique Moloch.

En 1928, les 1 % les plus riches détenaient environ 24 % du revenu national, un pourcentage qui n’a cessé de diminuer jusqu’en 1973. Au début des années 1970, l’assaut de l’oligarchie contre les travailleurs s’est accéléré en réponse à la montée des mouvements populaires de masse dans les années 1960. La classe des milliardaires et les grandes entreprises ont injecté des milliards dans les partis politiques, les universités, les groupes de réflexion et les médias. Les critiques du capitalisme ont eu du mal à trouver une tribune, y compris sur les chaînes publiques.

Ceux qui reprenaient la mélodie jouée par les milliardaires étaient généreusement gratifiés de subventions, de contrats de publication de livres, de postes de professeurs permanents, de récompenses, et sont devenus des porte-voix permanents dans la presse commerciale. Les salaires ont stagné. L’inégalité des revenus a atteint des proportions monstrueuses. Les taux d’imposition des sociétés et des riches ont été réduits jusqu’à aboutir à un quasi-boycott fiscal. (...)

Ces oligarques au pouvoir nous tiennent en étau, et nous ne parlons même pas du monde naturel. Ils ont mobilisé les organes de sécurité de l’État, militarisé la police, construit le plus grand système carcéral au monde et dénaturé les tribunaux pour criminaliser la pauvreté. (...)

Les oligarques se sont offert des intellectuels et des artistes pour servir des intérêts commerciaux. Les mécanismes de la domination du monde des affaires sont mis en œuvre par les diplômés de l’enseignement supérieur, ceux qui se hissent au sommet de la hiérarchie universitaire – comme l’économiste Larry Summers qui a encouragé la déréglementation de Wall Street du temps de Bill Clinton, ou le politologue Samuel Huntington qui a averti que des pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni souffraient d’un « excès de démocratie » (...)

L’un des plus grands paradoxes est que l’État-entreprise dépend des talents des personnes diplômées, des intellectuels et des artistes pour conserver le pouvoir, mais dès que l’un d’entre eux commence à penser de manière indépendante, il est réduit au silence. Les attaques permanentes contre la culture, le journalisme, l’éducation, les arts et la pensée critique ont marginalisé ceux qui, pour s’exprimer, ont recours au registre de la lutte des classes, des Cassandre affolées que l’on considère comme un tant soit peu déséquilibrés et désespérément apocalyptiques. Ceux qui ont le courage de faire la lumière sur les rouages de la machine, comme Noam Chomsky, sont transformés en parias ou, comme Julian Assange, persécutés inlassablement.

La culture est essentielle à la démocratie. Elle est radicale et transformatrice. Elle exprime ce qui se trouve au plus profond de nous. Elle met des mots sur notre réalité. Elle donne un sens aux évènements de notre vie. Elle nous permet de ressentir, de voir. Elle nous offre la possibilité de faire preuve d’empathie pour ceux qui sont différents ou opprimés. Elle met en lumière ce qu’il se passe autour de nous. (...)
Lorsque quelqu’un parle de valeurs et de besoins, de systèmes moraux et de principes, ou qu’il défie la primauté du profit – surtout si l’on ne dispose que de quelques minutes dans une émission de télévision sur une chaîne du câble pour communiquer à bâtons rompus selon les habituels clichés qui tuent la pensée – alors le public déjà formaté n’y entend guère plus que du charabia.

Le capitalisme, comme le comprenait Karl Marx, est une force révolutionnaire. Il est endémiquement instable. Il exploite les êtres humains et les ressources naturelles jusqu’à l’épuisement ou l’effondrement. Telle est sa véritable essence. Mais ceux qui, dans la société, sont chargés de révéler cette réalité, ont été soudoyés ou réduits au silence. (...)

Nos faits à nous, les faits de ceux qui sont expulsés, vont en prison, sont au chômage, sont malades et cependant non couverts par une assurance, les 12 millions d’enfants qui se couchent avec le ventre vide ou qui vivent – comme près de 600 000 Américains – dans la rue, ne font pas partie de l’équation. Nos faits à nous n’ont aucun attrait pour les annonceurs. Nos faits à nous ne correspondent pas au monde de Disneyland que les médias et les annonceurs sont payés pour créer. Nos faits à nous sont un obstacle à l’augmentation des profits.

On s’efforce de réaliser un rêve. On vit dans une illusion. Et l’illusion dont nous sommes nourris est qu’il n’y a jamais d’obstacle qui ne puisse être surmonté. (...)

Les sociétés en déclin sont séduites par la pulsion de mort, comme l’observe Freud dans La civilisation et ses malheurs, écrit à l’époque de la montée du fascisme en Europe et de la Seconde Guerre mondiale. La pulsion de mort perçoit la destruction comme une forme de création. La satisfaction de la pulsion de mort, écrit Freud, « s’accompagne d’un extraordinaire sentiment de plaisir narcissique, parce qu’elle permet à notre Moi de satisfaire ses éternels désirs de toute-puissance ». (...)

Le piège de l’illusion est qu’elle vous autorise à rester dans un état d’infantilisme. (...)

Quand le loup frappe à la porte, quand notre maison est saisie, quand l’assurance chômage s’arrête, nous réagissons comme un enfant. Nous cherchons un démagogue ou un sauveur qui nous promet protection, renouveau moral, vengeance et nouvelle gloire.

Tel est le monde perverti que nos maîtres dirigeants d’entreprise ont créé. C’est ce monde-là que nous devons affronter et démanteler (...)

Les discours sur le respect de la diversité sont devenus des gadgets publicitaires, des produits de marque. Barack Obama n’a rien fait pour réduire les inégalités sociales et la folie impériale. Les questions identitaires et de diversité mobilisent les libéraux et les personnes diplômées dans un militantisme de boutique au détriment de la lutte contre les injustices systémiques ou le fléau de la guerre permanente. Les nantis reprochent aux démunis leurs mauvaises manières, leur racisme, le manque de raffinement et le caractère criard de leur langage, tout en ignorant les causes profondes de la détresse économique ou du désespoir suicidaire qui s’empare d’une grande partie du pays. (...)

La population a été cloisonnée en tribus rivales. Le modèle économique des médias, qu’il s’agisse de Fox News ou de MSNBC, consiste à alimenter ces tribus antagonistes. Non seulement ces groupes de population concurrents se nourrissent de ce qu’ils veulent entendre, mais la tribu adverse est diabolisée, avec une rhétorique enflammée qui élargit les clivages au sein de la population. Ce qui ravit les oligarques.

Si nous voulons reprendre le pouvoir des mains des entreprises et de la classe des milliardaires qui ont mené ce coup d’État à bas bruit, et ainsi empêcher la montée du néofascisme, nous devons construire une coalition gauche-droite libérée de l’absolutisme moral des zélateurs de la guerre. Nous devons nous organiser pour utiliser la seule arme que possèdent les travailleurs et qui peut paralyser et détruire le pouvoir économique et politique de la classe des milliardaires : la grève.

Les oligarques se sont employés depuis des décennies à abolir ou à asservir les syndicats, faisant des quelques syndicats qui subsistent des partenaires mineurs serviles du système capitaliste. Seuls 10,1 % des travailleurs sont syndiqués. En janvier 2022, le taux de syndicalisation dans le secteur privé était à son plus bas niveau depuis l’adoption de la loi sur les relations de travail (National Labor Relations Act) de 1935. (...)

La grève est la seule arme dont disposent les travailleurs pour tenir le pouvoir en échec. Les tiers partis peuvent présenter des candidats pour défier le double monopole, mais ce sont des accessoires inutiles s’ils ne sont pas soutenus par le pouvoir des travailleurs syndiqués. Comme l’Histoire l’a prouvé à maintes reprises, le syndicalisme structuré, allié à un parti politique qui défend ses intérêts, est le seul moyen de nous protéger des oligarques. (...)

À quel moment une population aux abois, vivant en dessous ou au niveau du seuil de pauvreté, se soulève-t-elle pour manifester ? À quel moment va-t-elle se lancer dans une résistance civile continue pour briser l’emprise de l’élite au pouvoir ? À quel moment les gens seront-ils prêts à accepter le risque d’être arrêtés, emprisonnés ou pire encore ?

Si l’on se fie à l’Histoire, c’est là quelque chose qu’on ignore. Mais il est désormais indéniable que la mèche d’amadou est allumée, même la classe dirigeante le sait. (...)

si nous nous organisons pour défendre des intérêts communs, notamment l’arrêt de mort infligé à des milliards de personnes dans le monde par l’industrie des combustibles fossiles, nous pouvons déplacer notre attention sur le véritable ennemi – nos maîtres industriels – plutôt que sur l’Autre qui serait diabolisé.

La France nous donne une excellente leçon sur la manière d’opposer le pouvoir populaire à une élite dirigeante. La tentative du président français Emmanuel Macron de relever unilatéralement l’âge de la retraite a déclenché des grèves et des manifestations massives partout en France, notamment à Paris, Lyon, Marseille et Bordeaux. Quelque 3,5 millions de travailleurs ont débrayé en France à l’occasion de leur neuvième grève reconductible. La tentative du Premier ministre Benjamin Netanyahu d’affaiblir le contrôle judiciaire a été suspendue lorsque la plus grande centrale syndicale du pays a organisé des grèves qui ont entraîné l’arrêt des transports, des universités, des restaurants et des commerces de détail.

Notre propre histoire du militantisme syndical, en particulier dans les années 1930, a débouché sur une série de mesures qui ont protégé les travailleurs et les travailleuses partout aux États-Unis, notamment la sécurité sociale, la journée de travail de huit heures et la fin du travail des enfants. Les États-Unis ont connu les luttes ouvrières les plus sanglantes de tous les pays industrialisés, elles n’ont été égalées que par l’éradication des syndicats par les régimes fascistes en Europe. (...)

si nous nous concentrons sur l’oppresseur, au lieu de diaboliser ceux qui sont tout aussi opprimés, si nous faisons le dur travail de construire des mouvements de masse pour tenir les puissants en échec, si nous acceptons que la désobéissance civile a un coût, y compris la prison, si nous sommes prêts à utiliser l’arme la plus puissante que nous ayons – la grève – nous pouvons reconquérir notre pays.