
Nous assistons partout en Europe à une recomposition accélérée du paysage politique, l’incapacité manifeste des forces politiques traditionnelles à présenter des solutions crédibles face à l’accélération de la vassalisation aux Etats-Unis, la protestation des peuples, paysannerie, ouvriers, semble donner lieu à une montée de l’extrême-droite mais rien n’est joué… L’extrême-droite allemande a essuyé, dimanche 28 janvier, un revers électoral dans le sillage de manifestations d’une ampleur inédite dans le pays contre son programme, alors qu’elle semblait depuis des mois sur une dynamique ascendante inarrêtable. Le parti Alternative pour l’Allemagne (AfD) a perdu son pari de remporter une deuxième présidence de canton, lors d’élections locales du district de Saale-Orla, dans la région est-allemande de Thuringe. (...)
L’Allemagne traverse une grave crise. Entre une économie qui s’effondre et un gouvernement de plus en plus impopulaire, le pays a commencé à montrer à quel point il est sous pression. Il y a six mois, le directeur du constructeur automobile allemand Volkswagen avertissait que “le toit est en feu”, tandis que The Economist concluait que “le désastre”, c’est-à-dire non seulement le déclin mais aussi l’effondrement de l’industrie automobile allemande, n’était “plus inconcevable”.
En ce début hivernal de l’année 2024, les agriculteurs allemands organisent des manifestations de plus en plus importantes et contraignent la coalition au pouvoir à faire des concessions, les trains ne circulent pas à l’heure en raison d’une grève, le secteur du commerce de gros du pays est tombé dans un pessimisme de niveau pandémique, ce qui “atténue les espoirs d’un rebond rapide de la plus grande économie d’Europe”, comme le rapporte Bloomberg, les prix de l’immobilier résidentiel sont en baisse record et le marché de l’immobilier de bureau “s’est effondré”, selon le principal magazine d’information allemand Der Spiegel.
The Economist estime que l’Allemagne est également “au plus bas” sur le plan politique – en fait, elle s’est elle-même reléguée – de son statut de leader de l’Europe (ou, du moins, de l’UE) à celui de second violon (ce serait peut-être la France) : alors qu’”Angela Merkel était le leader incontesté du continent, Olaf Scholz n’a pas repris son flambeau”. (...)
Nous pourrions continuer à accumuler les exemples de malaise. (...)
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Une force politique qui a tout à gagner de la crise vient d’être créée. (Un autre parti assez récent qui en profite est l’AfD.) Longtemps rumeur et en gestation, le 8 janvier a vu la fondation officielle d’un nouveau parti, le Bündnis Sahra Wagenknecht – Vernunft und Gerechtigkeit (Alliance Sahra Wagenknecht – Raison et Justice), ou BSW en abrégé. Sa dirigeante, Sahra Wagenknecht, était la personnalité politique la plus populaire du parti de gauche dure Die Linke, qu’elle a quitté avec fracas.
Comme son nom l’indique, le nouveau parti est, en partie, un véhicule pour l’acuité politique personnelle et le charisme considérables de Sahra Wagenknecht. (...)
les chances du parti d’avoir un impact fort dès le départ sont très bonnes, comme l’indiquent régulièrement les sondages. Le dernier en date, commandé par Bild et réalisé quelques jours seulement après la création du parti par un institut de sondage de premier plan, montre que 14 % des Allemands voteraient pour le BSW lors d’élections fédérales. (...)
, avec la BSW, nous assistons non pas à la création d’une frange, mais d’un mouvement central dans ce qui semble émerger comme le système de partis allemand remodelé, composé de trois partis traditionnels (SPD, CDU et les Verts) et de deux nouvelles forces. Ces dernières proviennent des périphéries droite et gauche, mais sont susceptibles de redéfinir le centre, directement et par la pression qu’elles exercent sur les acteurs traditionnels. (...)
Wagenknecht a raison sur ce point : La démocratie allemande est surtout menacée par les politiques gouvernementales qui font que de plus en plus de citoyens se sentent isolés ou aliénés.
Dans ce contexte, le BSW promet des politiques sociales plus généreuses, notamment en matière d’éducation, de salaires et de retraites (et des impôts plus élevés pour les riches). L’Allemagne étant en mauvaise posture sur le plan économique, cette promesse ne manquera pas d’avoir un écho. Et Mme Wagenknecht, qui est une “naturelle” de la politique, sait comment donner un signal : Elle vient de se ranger du côté des agriculteurs qui protestent, comme le font la majorité (68 %) des Allemands, selon les sondages.
Les grands médias tentent désespérément de faire passer les agriculteurs rebelles pour des extrémistes au service de la cause et de faire le jeu de – devinez de quel pays il s’agit ! – la Russie. (...)
Wagenknecht et le BSW ont combiné des approches socialement de gauche avec un ensemble de positions traditionnellement conservatrices, contestant, par exemple, le développement hypertrophique de nouvelles catégories de genre ou, en général, les “luttes symboliques” autour d’une terminologie hyper-sensible, si à la mode dans ce que Wagenknecht rejette comme la “gauche de style de vie”.
Si ce repoussoir contre le politiquement correct est une opération largement symbolique, bien qu’efficace, l’immigration est un domaine plus substantiel. Là aussi, Wagenknecht a adopté des positions plus proches de la droite et du centre que de la gauche libérale, soulignant le besoin de contrôle et de limites. Le fait qu’elle ait elle-même un père persan et que d’éminentes figures de proue de la BSW soient également des Allemands non ethniques lui confère une position de départ solide pour ce type de débat, protégeant ses points de vue d’un rejet comme étant raciste ou xénophobe. (...)
En réalité, Mme Wagenknecht a positionné son nouveau parti de manière à ce qu’il résiste à la pression d’une confrontation toujours plus grande avec Moscou, notamment en ce qui concerne l’Ukraine. En ce moment, par exemple, elle s’élève contre la livraison de missiles de croisière allemands Taurus à l’Ukraine, qui est la dernière lubie des accros insatiables à l’”arme miracle”. Plus généralement, elle demande de passer d’une politique de confrontation militaire par procuration à une politique de négociation et de compromis, ce qui est bien sûr parfaitement logique.
Pour ses ennemis, il y a une ironie qui les guette : Ils espèrent peut-être que le fait d’accuser Wagenknecht d’être trop amicale envers la Russie affaiblira son attrait. Mais ce bateau est parti. L’époque du néo-maccarthysme débridé est révolue. Il est plus probable, heureusement, que l’approche raisonnable de la BSW en matière de politique étrangère lui vaudra davantage de sympathie et d’électeurs. (...)