Après un an et demi de siège, la ville d’El-Fasher, au Soudan, est tombée lundi matin. C’était la dernière grande ville du Darfour qui échappait au contrôle des Forces de soutien rapide (FSR) du général Hemedti. Depuis leur entrée dans l’agglomération, les FSR ont commis des massacres contre les civils dans différents quartiers, comme le montrent des images analysées par la rédaction des Observateurs de France 24.
Des pick-up d’hommes armés qui roulent à toute vitesse devant des civils en fuite, des miliciens qui paradent dans des rues, et des tranchées dans le sable qui se remplissent de corps sans vie : des dizaines d’images de la ville d’El-Fasher, au Darfour, ont déferlé sur les réseaux sociaux soudanais depuis lundi 27 octobre. Ces vidéos ont été filmées par les protagonistes principaux – les Forces de soutien rapide (FSR) – qui se sont emparées de la ville en chassant l’armée soudanaise. Cette prise constitue une étape clé dans la guerre pour le contrôle du Soudan que se livrent les FSR et l’armée soudanaise.
Les FSR ont émergé dans le sillage du groupe paramilitaire des Janjawid, connu pour avoir perpétré des massacres ethniques au Darfour entre 2003 et 2005. Dès leur arrivée dans El-Fasher, les membres des FSR se sont filmés triomphants dans les rues. (...)
Abu Lulu, un milicien qui filme ses exactions
Mais les FSR ont également filmé leurs exactions, comme le montrent des images diffusées par une chaîne Telegram qui leur est favorable, marek55500 : on y voit notamment des miliciens des FSR parader devant une fosse commune dans laquelle sont entassés des dizaines de cadavres, dans trois vidéos différentes. (...)
Au total, la rédaction des Observateurs de France 24 a pu compter 33 cadavres présents dans une seule des trois vidéos. Il est possible d’estimer à une cinquantaine le nombre de dépouilles présentes dans les trois vidéos. Parmi ces corps sans vie, la rédaction des Observateurs de France 24 a pu identifier une femme ainsi que trois hommes vêtus de treillis de camouflage.
S’il est impossible de déterminer de manière indépendante la localisation précise de cette fosse commune dans la zone d’El-Fasher, certains membres des FSR sont identifiables. C’est le cas du dénommé Abu Lulu, également connu sous le nom de brigadier-général al-Fatih Abdallah Idris. Arme à la main, ce dernier affiche un grand sourire devant la fosse commune. (...)
Dans une autre vidéo au même endroit, Abu Lulu exécute un homme blessé allongé par terre. Quelques secondes avant sa mort, le prisonnier à terre implore la clémence d’Abu Lulu : "Miséricorde ! Miséricorde !" Les officiers présents autour tentent de convaincre Abu Lulu de lui laisser la vie sauve. Ce dernier refuse et s’adresse au prisonnier qu’il s’apprête à tuer : "Même si le général al-Burhane [chef de l’armée soudanaise qu’affrontent les FSR, NDLR] vient ici, je ne te lâche pas ! Tu ne me donnes pas d’informations utiles, tu n’es personne, tu n’existes pas !" Abu Lulu tire finalement cinq balles pour achever le blessé. (...)
Ce n’est pas la première fois qu’Abu Lulu expose ses crimes devant les caméras. Le 18 août, une vidéo filmée à El-Fasher montrait déjà Abu Lulu exécuter un homme de sang-froid. Avant de le tuer, Abu Lulu l’avait questionné sur son ethnie d’appartenance. Dès que l’homme lui avait répondu qu’il était maba [une des ethnies non arabes du Darfour, régulièrement visées par des exactions des FSR, NDLR], Abu Lulu avait tiré sept balles avec un pistolet dans sa direction.
Quelques heures après la diffusion de ces images prises à El-Fasher, les Forces de soutien rapide avaient tenté de prendre leurs distances avec Abu Lulu, affirmant que ce dernier ne faisait pas partie de leurs rangs. Pourtant, sur les images publiées sur son compte TikTok, il est possible de voir Abu Lulu arborer le badge sur lequel figure le logo des FSR. (...)
Jeudi, les Forces de soutien rapide ont néanmoins annoncé l’arrestation d’Abu Lulu sur leur canal Telegram : "Abu Lulu et plusieurs personnes impliquées dans des violations des droits humains à El-Fasher arrêtés par les FSR." Le texte est accompagné d’une vidéo montrant Abu Lulu menotté et enfermé. (...)
Des massacres à l’hôpital pour enfants, à la faculté de médecine et à la maternité
Dans la ville d’El-Fasher, les infrastructures civiles ont également été le lieu de plusieurs massacres. Une vidéo montre les couloirs de la faculté de médecine de la ville recouverts de cadavres. On y voit un milicien descendre des escaliers et entrer dans un hall jonché de corps. Un homme vêtu de blanc et désarmé est assis au milieu de la pièce. Faisant dos au soldat, il se retourne et lui adresse un regard furtif, puis se retourne. Le milicien pointe son fusil d’assaut et l’abat d’une balle dans le dos. (...)
Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé a dénoncé la mort de "460 patients et accompagnateurs" dans un massacre qui a eu lieu dans la maternité d’El-Fasher.
Des images satellite montrant des charniers
D’autres images satellite publiées lundi 27 octobre par l’université de Yale montrent des charniers dans le quartier Daraja Oula. Selon les chercheurs, les FSR ont massacré la population maison par maison. (...)
Des civils en fuite poursuivis par les combattants (...)
Pour Sheldon Yett, membre de la mission humanitaire de l’Unicef au Soudan contacté par la rédaction des Observateurs, l’afflux de réfugiés généré par la chute de la ville sera très difficile à prendre en charge :
"Il y a un nombre très important de déplacés. C’est un désastre humanitaire. Ces trois derniers jours, nous avons dû prendre en charge des milliers de civils qui ont quitté la ville d’El-Fasher pour se rendre dans les villages voisins ou dans le camp de réfugiés de Tawila.
Les déplacés qui arrivent jusqu’à nous sont totalement épuisés et sans ressources. Pendant le siège de la ville, les Forces de soutien rapide ont coupé toute aide humanitaire en empêchant notre organisation et d’autres d’accéder à la ville. Cela fait des mois qu’il n’y a pas de nourriture, de médicaments ni d’eau à El-Fasher. Les civils assiégés mangeaient de la nourriture pour animaux.
De plus, des témoignages affirment que les FSR demandent de grandes sommes d’argent pour laisser les gens fuir la ville. Les gens qui ont pu fuir la ville sont donc ceux qui étaient en capacité de payer pour s’en aller. Ce sont donc les populations les plus vulnérables qui sont restées sur place.
Nous pouvons parfois entrer en contact avec des habitants de la ville, mais c’est complexe à cause du black-out des communications, mais aussi des confiscations de téléphones."
Depuis la prise de la ville, les Nations unies multiplent les alertes. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Gutteres, appelle à la mise en place d’un couloir humanitaire à El-Fasher.