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France24
"IIs lui ont mis une balle dans la tête" : les "bébés noirs" de Brazzaville visés par les autorités.
#Congo #Brazzaville #executions
Article mis en ligne le 17 octobre 2025

Des jeunes abattus en pleine rue, dans une mare de sang : depuis fin septembre en République du Congo, des vidéos documentent une opération particulièrement violente menée contre des gangs de Brazzaville, surnommés "bébés noirs" ou "kulunas". Une ONG dénonce des exécutions extrajudiciaires, dont notre Observateur a été témoin et fait un récit glaçant.

Sur les réseaux sociaux, essentiellement TikTok, dans des dizaines de vidéos présentées comme étant filmées dans des rues de la capitale congolaise Brazzaville, la même scène se répète : des personnes courent, rejoignent un attroupement, la caméra fend la foule pour montrer au sol un homme, jeune, le sang qui coule, parfois directement de la tête. Plusieurs Congolais ont également adressé ce genre de vidéos depuis fin septembre à la rédaction des Observateurs, ainsi que d’autres, difficilement soutenables, montrant en gros plan les victimes.

Il n’est pas toujours possible de vérifier les localisations exactes des vidéos, mais l’existence d’une opération visant à traquer les bébés noirs, aussi appelés kulunas, est bien confirmée par une source proche des autorités du Congo-Brazzaville, jointe par notre rédaction. Elle est menée par la Direction générale de la sécurité présidentielle (DGSP), une unité d’élite. La même source affirme qu’elle doit s’étendre "à Pointe-Noire et d’autres villes" du pays. (...)

Les bébés noirs, ou kulunas, sont les noms désignant des groupes de jeunes accusés de pratiquer le racket, les agressions armées, mais aussi le trafic de drogue et la prostitution.

Cette opération n’a pas été annoncée et les autorités n’ont pas communiqué sur le sujet, mais elle semble avoir cours depuis au moins le 29 septembre, selon les vidéos disponibles en ligne.

Fin septembre, les opérateurs de téléphonie mobile ont fait suivre massivement un SMS aux habitants de Brazzaville, les incitant à "transmettre des informations sur les lieux d’habitation des délinquants dits ’kulunas’", moyennant rançon. (...)

Ils ont laissé le corps comme ça dans la rue, ils font tout le temps ça. Ensuite ils interdisent aux familles de le ramasser et de faire des veillées mortuaires. Je suppose que c’est pour donner l’exemple… Mais c’est traumatisant pour les habitants. Moi j’ai fini par écourter mes vacances, je n’avais pas envie de trainer à Brazzaville. J’ai des dreadlocks et des tatouages, c’est souvent considéré comme un signe distinctif de bébé noir et il y a des arrestations arbitraires. C’est ridicule parce que plein de gens ont des locks par exemple.

Ceux qu’on appelle les bébés noirs sont des jeunes désœuvrés, ils n’ont accès à rien. Certains ont pourtant un niveau scolaire acceptable, mais pour trouver du travail… c’est autre chose. Ici tout s’achète, il faut payer pour avoir le droit de travailler. Donc ils restent à la maison, ils n’ ont pas de suivi, la seule distraction c’est l’alcool et le tramadol et c’est là que la violence commence. Ils fument de la marijuana aussi, dans tous les quartiers il y a des fumoirs."

(...)

Les veillées mortuaires à la mémoire des personnes abattues ont été interdites. Plusieurs habitations ont également été détruites par les autorités, ainsi que les montrent des vidéos, sans qu’il ne soit possible d’établir les raisons de ces actions. (...)

Nina Cynthia Kiyindou Yombo, directrice exécutive de l’Observatoire congolais des droits de l’homme, dénonce "des exécutions extrajudiciaires".

"Sans procès et sans enquête officielle, on exécute les gens. La personne arrêtée doit pouvoir être assistée. On arrête sur la base d’une simple dénonciation, on offre une cagnotte à ceux qui dénoncent, ce n’est pas sérieux.

On ne sait pas ce que deviennent ceux qui sont arrêtés. Où sont-ils déposés ? Dans les commissariats ?

Nous sommes en train de faire un monitoring, mais nous avons déjà recensé plus d’une vingtaine de cas d’arrestations.

La DGSP se déplace avec des véhicules comme si on était en pleine guerre. On a une population traumatisée. À 22h c’est à peine si vous voyez des voitures circuler, les gens sont chez eux. On n’est quand même pas en état d’urgence."

(...)

La source proche des autorités juge que "le terme exécutions sommaire doit être documenté. Au stade où on est, l’opération est proportionnée, ils ne sont pas par principe exécutés mais sont interpellés, c’est quand ils résistent que ça dérape."

"Le Congo ne veut pas devenir Haïti"

Selon cette même source, l’opération de traque des bébés noirs se justifie car "quand l’intérêt supérieur de la nation et de l’État sont en jeu, un gouvernement responsable prend des mesures radicales. Le Congo ne veut pas devenir Haïti, où l’Etat a été débordé par les gangs ". Cette source dénonce des populations "sous la menace de la machette, de se faire détrousser dans une rue à peine la nuit tombée, de se faire violer pour les femmes". Interrogée sur la décision de détruire des maisons, elle répond : "Nous ne pouvons ni confirmer ni infirmer que ces destructions sont liées à des kulunas", estimant qu’elles pourraient surtout viser "les fumoirs transformés en lieu de trafic de drogue" des gangs.

À partir d’octobre, la police a également été filmée à plusieurs reprises à Brazzaville en train de brûler des motos. Notre Observateur explique :

"Ils considèrent que c’est le mode de déplacement privilégié des bébés noirs. Quand vous n’avez pas les papiers de motos, ils soupçonnent que ça veut dire qu’elle a été volée, ils la cassent et la brûlent direct".

(...)