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Mediapart
Slalomer pour durer : la stratégie casse-cou de François Bayrou
#Bayrou
Article mis en ligne le 27 février 2025
dernière modification le 24 février 2025

Sorti du bourbier budgétaire, toujours en poste malgré six motions de censure, le premier ministre se prend à rêver de stabilité. Pour cela, il suit un triple objectif : figer le temps politique, neutraliser le PS en attendant son congrès et obtenir la bienveillance du RN. Au risque d’ancrer définitivement dans le pays les mots et les obsessions de l’extrême droite.

(...) la tribune de l’Assemblée nationale, François Bayrou commence son discours avec un petit sourire en coin. Le premier ministre semble plutôt fier de ce qu’il prépare : trente-sept minutes d’une charge violente contre le Parti socialiste (PS), accusé d’avoir déposé une motion de censure « à faux », « à blanc », « pour faire semblant », mercredi 19 février. « Vous aurez les sarcasmes et vous aurez le ridicule », promet-il au groupe socialiste. Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, tente de le couper : « Vous allez le regretter ! »

La réponse fuse, goguenarde : « Ne menacez pas, monsieur Faure, je viens à vous. » Humilié, le groupe PS quitte l’hémicycle en cours de discours. Dans les travées, une question parcourt les rares présents : à quoi joue François Bayrou ? Même l’orateur du groupe macroniste, Stéphane Vojetta, assume de « s’écarter de son discours pour s’adresser » directement au chef du gouvernement : « Je vous l’avoue, je n’ai pas compris vos saillies à l’encontre d’un parti […] qui a accepté de saisir votre main tendue. »

La volte-face a effectivement de quoi donner le tournis, deux mois après avoir installé le PS comme le partenaire privilégié de l’exécutif et négocié avec lui les conditions d’une non-censure (...)

À Matignon, c’est comme si la semaine qui vient de s’écouler avait subitement dégagé l’horizon. Après le budget de l’État, celui de la Sécurité sociale pour l’année 2025 a été définitivement adopté le 17 février. Deux jours plus tard, c’est la sixième motion de censure de l’hiver qui échouait au Palais-Bourbon. Sur l’affaire Bétharram, François Bayrou est persuadé d’avoir réussi un double coup politique en s’affichant aux côtés de victimes puis en lançant un contre-feu visant le gouvernement de Lionel Jospin (1997-2002).

Dans son ascension de l’Himalaya, comme il a décrit sa tâche à Matignon, le chef du gouvernement pense avoir franchi quelques sommets de taille. De quoi s’autoriser à voir plus loin : l’été, la fin de l’année, la fin du quinquennat… et l’élection présidentielle de 2027, à laquelle il espère concourir. Dès lors, sa feuille de route est simple à décliner : durer, durer, durer. (...)

Le congrès du PS en tête

Si François Bayrou s’est permis de « maltraiter » ainsi le PS, selon la formule de Jean-Luc Mélenchon, c’est parce qu’il considère qu’il peut se le permettre. Autrement dit, que le PS a perdu son pouvoir de dissuasion, malgré les menaces qu’il agite semaine après semaine. Après avoir construit sa stratégie des derniers mois sur la démarcation avec La France insoumise (LFI), revenir à une position de censure serait périlleux pour le parti à la rose, estime-t-on à Matignon.

« Si Bayrou tombe, on va tout droit à la dissolution, souligne un dirigeant de la coalition au pouvoir. Et le PS n’en a aucune envie. » Encore moins depuis que tout le monde a compris que la réforme du mode de scrutin n’interviendra pas dans les prochains mois : instaurer la proportionnelle aux élections législatives aurait rendu, pour le PS, le retour aux urnes moins dangereux. Sans cela, une dissolution, alors que la possibilité d’une large union de la gauche paraît lointaine, pourrait faire perdre aux socialistes des dizaines de sièges, jusqu’à menacer l’existence même de leur groupe.

Vieux routier de la vie politique, François Bayrou a parfaitement saisi les enjeux qui traversent ces temps-ci les rangs socialistes. Il sait que le PS a un congrès du 13 au 15 juin ; il sait qu’Olivier Faure est vivement contesté en interne ; il sait que François Hollande, avec qui il discute régulièrement, œuvre en coulisses pour reprendre – directement ou non – les clés du parti. (...)

Le pas de deux avec le RN

En revanche, un autre danger guette l’exécutif : celui du Rassemblement national (RN), dont le pouvoir de nuisance est revenu à l’agenda. (...)

Dans le camp présidentiel, personne n’a oublié les concessions multiples accordées par Michel Barnier au RN, jusqu’à ce que le parti d’extrême droite décide de changer d’avis et de le renverser début décembre. À Matignon, on a fait les calculs : si le mouvement de Marine Le Pen se joint à une motion de censure de gauche, il pourrait suffire de vingt-trois député·es PS (un tiers du groupe) pour faire tomber le gouvernement.

D’où l’intérêt de ménager le RN sans le dire trop fort. Au cabinet de François Bayrou, la moindre demande des parlementaires d’extrême droite est traitée avec les formes. (...)

Le maintien en poste de Bruno Retailleau répondait au même objectif : anesthésier l’extrême droite en installant ses thèmes, ses mots et ses idées dans le paysage. Depuis, c’est un florilège : le « sentiment de submersion » migratoire, les saillies sur les familles d’étrangers dans un village pyrénéen ou sur le camarade africain de François Bayrou… Et ce ne sont pas que des mots : le gouvernement a soutenu la remise en cause du droit du sol à Mayotte et a ouvert la porte à un élargissement du débat à l’ensemble du territoire national.

Le ministre de l’intérieur, souvent rejoint par son collègue de la justice, traduit en actes ce qu’a impulsé le premier ministre en mots : une convergence croissante des points de vue entre la droite et l’extrême droite, la conviction partagée que les sujets migratoires doivent occuper le haut de l’agenda et les mêmes obsessions, ravivées à longueur d’interviews. (...)

Reste un dernier volet de la méthode Bayrou, pas le moins important : le ralentissement de la vie politique. Le président du MoDem considère que le temps joue en sa faveur et voit les oppositions engoncées dans leur propre calendrier (...)

Reporter les sujets clivants à après-demain

Objet d’une bataille sourde mais vive en interne, le créneau parlementaire de la mi-mars a été dédié à la loi sur le narcotrafic, chère à Bruno Retailleau. Celle sur le mode de scrutin municipal à Paris, Lyon (Rhône) et Marseille (Bouches-du-Rhône) suivra. Au mois de mai seront examinés les deux projets de loi sur la fin de vie : l’un sur les soins palliatifs, l’autre sur les dispositifs d’aide active à mourir. Le tout entrecoupé d’un texte sur le statut de l’élu, d’une loi simplification et de fenêtres dédiées aux oppositions.

Rien de suffisamment clivant pour permettre à l’opposition de censurer, espère Matignon (...)

Pas question d’enflammer le débat ; l’heure est aux concertations, aux débats… bref, à tout ce qui donne du temps. Sur les retraites, l’exécutif a donné rendez-vous en juin ; officiellement pour laisser aux partenaires sociaux tout le temps de trouver un accord. « Et s’ils y arrivent, bon courage à la gauche si elle veut censurer le gouvernement sur la base d’un accord issu du dialogue social », raille-t-on à Matignon.

Le débat sur l’identité nationale, promis mais pas encore formalisé, fait office de pendant droitier du « conclave » sur les retraites : une manière, là encore, de gagner du temps et de tenter de prendre au piège le RN. Plus globalement, tous les jeudis, François Bayrou convoque des ministres aux aurores pour des réunions thématiques dont personne ne comprend bien le débouché. Et il a entrepris, comme beaucoup de ses prédécesseurs, une grande réforme du fonctionnement de l’État ; une manière, là encore, de se projeter dans le moyen terme. (...)