Depuis son accession au pouvoir, le président serbe Aleksandar Vučić joue les gros bras en intégrant des hooligans et des criminels dans son système répressif. Mais depuis un an les Serbes n’ont plus peur et occupent la rue. Son système mafieux perd pied !
Le 1er novembre, les Serbes ont commémoré le premier anniversaire de l’effondrement du auvent de la gare de Novi Sad qui a fait 16 morts. Depuis ce drame, un mouvement de protestation inédit fait rage. Étudiant·es et citoyen·nes de toute la Serbie s’organisent horizontalement au sein de plénums et de zborovi – sorte d’assemblées populaires qui fonctionnent comme les plénums1. Iels occupent ensemble la rue pour réclamer justice, la fin de la corruption, la dissolution du Parlement et le départ du président Aleksandar Vučić. (...)
Comme tout dirigeant autoritaire qui se respecte, ce dernier répond à la colère par la matraque. Rien de surprenant (...)
Pour ce faire, Vučić n’hésite pas à utiliser des hooligans et ses connexions mafieuses.
Vrai poulet aime faux poulet
« Jamais durant l’histoire moderne de notre pays, nous avions eu 5, 10, 15 manifestations le même jour. Il n’y a simplement pas assez d’agents. Donc le pouvoir a appelé en renfort n’importe qui d’un peu violent avec un passé criminel », analyse Anastasija* étudiante à l’université de Belgrade. Et naturellement beaucoup d’agents sont devenus impossibles à identifier à cause de la généralisation illégale du port de masques, casques ainsi que de la disparition des numéros d’identification pourtant obligatoire. Du coup, « plusieurs hooligans et criminels se procurent des uniformes et prétendent faire la police », explique Dinko Gruhonjić, journaliste et chercheur basé à Novi Sad, fréquemment harcelé par le pouvoir et ses soutiens pour ses positions antinationalistes.
En août dernier, lors d’affrontements dans différentes communes serbes comme Vrbas, Bačka Palanka ou Novi Sad, de nombreux médias et organisations de défense des droits de l’homme témoignent d’affrontements violents entre des manifestant·es et des groupes cagoulés, armés d’objets contondants. (...)
Parmi eux il y a surtout Đorđe Prelić condamné à 35 ans de prison, réduit à 10 ans, après une cavale de 4 ans pour le meurtre du supporter de foot toulousain Brice Taton en 2009. Depuis sa sortie de prison sous condition en 2021, sa présence est régulièrement remarquée lors d’événements en soutien au SNS. Le 13 août dernier, il a été aperçu bien en vue à Ćacilend3, un campement proche du parlement serbe à Belgrade censé rassembler les soutiens du président. Ce dernier y faisait une brève apparition, aux côtés de son frère, Andrej Vučić, fréquemment accusé de fricoter avec le crime organisé (notamment avec Zvonko Veselinović, un criminel bien connu au nord du Kosovo).
Rien de nouveau à l’horizon (...)
L’usage de hooligans et de criminels pour faire les basses besognes de l’État serbe n’a rien de nouveau. Dans les années 1990, le président Slobodan Milošević avait confié au criminel Željko Ražnatović, alias Arkan, le soin de recruter dans les tribunes les soldats qui fonderaient la « Garde des volontaires serbes » pour faire du nettoyage ethnique en Bosnie-Herzégovine et en Croatie. Et Vučić sait d’où il vient ! Avant de devenir le ministre de l’information de Milošević en 1998, il a fait ses armes dans le Parti radical serbe (SRS), ultranationaliste et dirigé par le criminel Vojislav Šešelj. Milošević s’était notamment servi de ce parti pour faire peur à l’Ouest, montrer qu’il était le plus à même de gouverner et cacher ses propres projets nationalistes. (...)
Face à l’affaiblissement du pouvoir et donc du crime organisé, les criminels et les hooligans s’intègrent très bien au système répressif serbe car Vučić « place aux postes importants uniquement des gens qui lui sont loyaux », rappelle Dinko Gruhonjić. Ils complètent ainsi la surveillance algorithmique, l’usage illégal de canon à son, la pression psychologique, le public shaming, les détentions arbitraires... Mais aujourd’hui, les Serbes ne se laissent plus faire ! « Chacun a sa manière de lutter, certains le font légalement devant la justice, d’autres préfèrent descendre dans la rue et combattre de front en arrachant notamment les gazeuses et les boucliers des flics », explique Anastasija. Les questions qui se posent désormais concernent l’après Vučić. Et les étudiant·es « jouent les arbitres dans la constitution de listes électorales citoyennes pour de potentielles prochaines élections législatives. » précise Dinko Gruhonjić. Ces dernier·es trient les candidat·es en prenant soin d’avoir uniquement des personnes de la société civile pour garder l’indépendance de leur mouvement non partisan. Iels excluent ainsi toutes les figures des partis d’opposition jugés co-responsables de la faillite de ce système. « Ce pays et cette société sont en ruines mais les étudiants donnent de l’espoir et nous montrent que nous sommes des gens normaux qui méritent de vivre des vies normales. Ceci est un prérequis pour penser la suite », conclut le journaliste.
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