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La revue des medias (INA)
« Le Bondy Blog, c’est ma plus forte émotion journalistique »
#BondyBlog #medias
Article mis en ligne le 28 octobre 2025
dernière modification le 25 octobre 2025

Il y a vingt ans, le 27 octobre 2005, les émeutes éclatent en banlieue parisienne. À Bondy, en Seine-Saint-Denis, 14 journalistes suisses se succèdent pendant quatre mois dans un petit local de la cité Blanqui. Le but, donner la parole aux habitants des quartiers. C’est la naissance du Bondy Blog.Il y a vingt ans, le 27 octobre 2005, les émeutes éclatent en banlieue parisienne. À Bondy, en Seine-Saint-Denis, 14 journalistes suisses se succèdent pendant quatre mois dans un petit local de la cité Blanqui. Le but, donner la parole aux habitants des quartiers. C’est la naissance du Bondy Blog.

C’est un quartier enclavé au cœur de Bondy. La cité Blanqui. Quelques tours fatiguées qui attendent d’être réhabilitées et une crèche au milieu. C’est là que le Bondy Blog est né il y a vingt ans lors des émeutes qui ont secoué les banlieues françaises à l’automne 2005. Les déclencheurs : le décès de deux adolescents cherchant à échapper à un contrôle de police à Clichy-sous-Bois, puis un jet de grenade lacrymogène devant une mosquée de la ville.

À l’origine du blog, des journalistes suisses de L’Hebdo. Alain Jeannet était le rédacteur en chef du magazine. Il raconte : « C’est le fruit d’une discussion anarchique. On a commencé à se poser la question de savoir comment on allait couvrir la banlieue car ce qui caractérisait les médias français, c’était qu’ils couvraient cette réalité depuis leur rédaction au cœur de Paris, sans prendre le temps de faire quinze minutes de RER pour voir les gens. Il y avait un décalage qui induisait une méfiance envers les médias. Serge Michel avait un contact à Bondy (une amie de sa femme) et ça s’est concrétisé. »
Un blog pour 5 euros

À l’époque, Serge Michel est chef de la rubrique internationale de L’Hebdo. Le lauréat du prix Albert-Londres en 2001 part pratiquement du jour au lendemain et atterrit à quelques pas de la Nationale 3, à l’hôtel Eden. C’est le seul hôtel de la ville. Aujourd’hui, il existe toujours. Seule l’enseigne a changé. « L’idée de base, c’était de publier nos articles dans L’Hebdo mais je savais que ça ne serait pas possible si on restait quatre mois là-bas. Alors le soir même, j’ai acheté une sorte de blog sans pub pour 5 euros pour publier les premiers contenus. » Au départ, le site s’appelle L’Hebdo Bondy Blog (il deviendra le Bondy Blog en mars 2006). Il est créé sur la plateforme Typepad et hébergé sur le site de L’Hebdo.

La mission du blog s’affiche juste sous son nom : « Pour voir la France, L’Hebdo s’installe en banlieue. À Bondy, plus précisément, où il a ouvert un micro-bureau dans lequel se relaient ses journalistes. (...)

Pendant une semaine, il donne la parole aux habitants des quartiers comme Yannick, 26 ans originaire de La Réunion ou Nasser, un habitué du bar Aux armes de la ville. Il décrit aussi sa rencontre avec Sidi-Hamed Selles, adjoint au maire aux Cultures et à la Vie associative. « Aujourd’hui, sous Sarkozy, le dialogue, c’est “montre tes papiers” », raconte l’élu local.

Pour Serge Michel, pas question de rester à l’hôtel pendant quatre mois. Il cherche un appartement pour les 14 journalistes (sur 30), tous volontaires, qui se succéderont sur place. Le gérant de l’agence Hié n’a rien à lui proposer mais lui présente quelqu’un qui connaît bien Bondy et ses quartiers. (...)

« Serge Michel m’a dévoilé son projet et m’a demandé si j’étais d’accord. Je lui ai dit que ça allait dépendre, car il y avait une grande défiance de la part des jeunes envers les médias. » Finalement, le journaliste suisse le convainc. « Au début, je lui ai fait rencontrer plusieurs personnes qui étaient là depuis longtemps, dans le quartier, et qui avaient des choses à dire sur la crise. » (...)

Vingt ans plus tard, Alain Rebetez est encore révolté par ce qu’il a vu et cet enfer bureaucratique : « C’est là que j’ai compris que la France avait un problème. C’était vraiment du mépris. L’idée que, jour après jour, on traite des administrés avec une telle désinvolture, c’est… » Très ému, il met un peu de temps à finir sa phrase. « C’est une des choses qui m’a frappé. Je découvrais un problème institutionnel. »

Contrôle social

Alain Rebetez parti, c’est au tour de deux Michel de venir à Bondy. Michel Audetat puis Michel Beuret. Auxquels succède Sonia Arnal. Elle arrive en janvier pour huit jours. À l’instar de sa collègue Sabine Pirolt, elle aussi s’est intéressée aux femmes. (...)

« Elles misaient beaucoup plus sur le parcours scolaire, au contraire des garçons du même âge. Ils étaient plus dans une logique de se dire “Bof, de toute façon, je ne trouverai pas de job” » (...)

Passage de relais

Arrive l’heure de clore l’expérience. « Le Bondy Blog ne nous coûtait rien. Juste un billet de TGV, on mangeait des grecs et le local nous coûtait 300 euros par mois. Mais au bout de quatre mois, Alain Jeannet me dit qu’on va devoir tirer la prise. Je lui ai dit qu’on ne pouvait pas juste dire “merci et au revoir” », raconte Serge Michel. D’autant que le blog est désormais lu chaque jour par 5 000 personnes. « J’ai proposé qu’on forme des jeunes de Bondy qu’on ferait venir à Lausanne pour une formation de journaliste », poursuit le journaliste. Alain Jeannet accepte et sollicite le maire (socialiste) de Bondy, Gilbert Roger. « Il avait été surpris par ce média local qui avait émergé et avec lequel il devait [composer] car il était régulièrement interpellé, raconte l’ancien rédacteur en chef. Quand il m’a reçu, il était sceptique car les gars à qui on voulait passer le flambeau n’avaient pas forcément de formation de journaliste… » Gilbert Roger nous confirme : « Si on n’est pas accompagnés sur du long terme, parfois ça peut capoter. Il fallait que des collègues journalistes accompagnent ces jeunes. » L’ancien maire ne tarit pas d’éloges sur le Bondy Blog : « Cette initiative était exceptionnelle. C’était extraordinaire que des journalistes viennent et se posent sur une longue période alors que les territoires s’embrasent. »
Journalisme citoyen

Mohamed Hamidi, l’enseignant de Bobigny qui a accueilli Serge Michel quatre mois plus tôt, accepte de former des jeunes originaires de la ville. Il en recrute une dizaine. En mars 2006, tous partent pour Lausanne afin de découvrir le quotidien d’une rédaction et le métier de journaliste.

Toujours en mars 2006, les Suisses laissent la place aux jeunes dans de nouveaux locaux. Les bureaux se situent rue Roger-Salengro, à quelques pas de la gare RER de Bondy. Le premier rédacteur en chef ? Mohamed Hamidi. Il reste deux ans aux manettes du Bondy Blog : « C’était énorme. C’était la première fois qu’on avait la possibilité d’avoir une voix vraiment libre et intelligente sur les quartiers. C’était le tout début du journalisme citoyen. » (...)

L’expérience du Bondy Blog a en tout cas laissé, sur les journalistes suisses, une empreinte indélébile. « C’est ma plus forte émotion journalistique », me dit Serge Michel. (...)