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Roland Nurier, réalisateur de “Yallah Gaza” : “Est-ce le pire ou le meilleur moment pour plaider la cause des Gazaouis ?”
#Israel #Hamas #Palestine #Gaza
Article mis en ligne le 23 octobre 2023
dernière modification le 22 octobre 2023

Des projections reportées, une intervenante arrêtée le 16 octobre à Marseille, une séance controversée à l’Assemblée nationale… Avant même sa sortie, prévue le 8 novembre, ce documentaire fait déjà parler. Son réalisateur réagit.

Au téléphone, la voix de Roland Nurier tremble d’émotion. Au lendemain du bombardement meurtrier d’un hôpital à Gaza, le réalisateur de Yallah Gaza n’en revient pas d’assister, de loin et impuissant, à la disparition en temps réel du décor de son film. Bien plus qu’un décor, le berceau maudit d’une population condamnée à toujours renaître de ses cendres : Gaza. Deux millions d’habitants entassés sur 360 kilomètres carrés, entre le sable du désert et l’eau de la Méditerranée. (...)

S’il s’est plusieurs fois rendu en Cisjordanie, dans les territoires occupés par Israël, Roland Nurier (Le Char et l’Olivier, 2018) n’a jamais mis les pieds dans la bande de Gaza. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. À la fin de l’hiver dernier, devant l’impossibilité d’obtenir les autorisations nécessaires, il doit se résoudre à confier la réalisation des séquences qu’il voulait y tourner à Iyad Elasttal, son chef opérateur gazaoui.

Alors qu’il accompagne son documentaire dans une série d’avant-premières en France, le réalisateur nous raconte cette tournée dans le contexte hautement inflammable de la guerre Israël-Hamas. (...)

Votre film célèbre la force vitale des Gazaouis, aujourd’hui frappés comme jamais. Comment se déroulent les avant-premières ?
Depuis les attaques terribles du Hamas, le 7 octobre, j’ai animé cinq projections-débats. Il n’y a eu aucun incident, tout s’est déroulé dans une atmosphère respectueuse et empathique. Avant-hier, trois gendarmes étaient pourtant campés devant le cinéma du petit village du Lot-et-Garonne qui programmait Yallah Gaza. Cette présence tranchait avec l’ambiance de la séance. Lors de ces avant-premières, j’ai même remarqué que les spectateurs n’étaient pas tous des convaincus de la cause palestinienne, comme c’est trop souvent le cas. Je le sens à la teneur des questions, parfois naïves, qui m’amènent à penser qu’une majorité de gens dans les salles s’interroge.

Le titre du film les a interpellés et ils sont venus pour comprendre ce moment historique qu’ils sont en train de vivre, même de loin. Pour chercher aussi un autre regard que celui des grands médias télévisuels français depuis les attaques du Hamas. Au début de la semaine dernière, j’ai refusé de participer à l’émission de Ruquier sur BFMTV : je voyais bien que seules les réactions émotionnelles avaient droit de cité. Replacer ces attaques dans un contexte plus large était alors impossible : toute approche historique était perçue comme une justification des actes du Hamas ! Condamner, d’accord, mais en contextualisant, sinon c’est accepter d’être dupes du narratif de l’État israélien. (...)

le maillage associatif est assez incroyable à Gaza. Beaucoup de gens travaillent bénévolement dans des ONG. L’idée était de montrer un autre visage de ces Gazaouis qu’on a hélas l’habitude de considérer soit comme des victimes, sous les bombes israéliennes, soit comme des criminels forcément affiliés au Hamas. Des opposants au Hamas, il y en a dans la bande de Gaza, et il y a aussi beaucoup de gens qui font avec parce qu’ils n’ont pas le choix. Qui créent, vivent, refusent de se laisser abattre. Aujourd’hui, ce même peuple est à terre. Je suis sans nouvelles de nombreux protagonistes du film. C’est insupportable. Ce qui est en train de se dérouler sous nos yeux est un génocide. Que soutient la communauté internationale, dont l’Europe, bardée de toutes ses valeurs. (...)

Qu’en est-il d’Iyad Elasttal, le chef opérateur qui a filmé toutes les séquences à Gaza, où vous n’aviez pas eu l’autorisation de vous rendre pour tourner vous-même ?
Hier soir, mercredi 18 octobre, Iyad était encore en vie. Il est dans une zone moins bombardée que Gaza City, au sud, à Khan Yunis. Il est avec sa femme et ses trois filles. Il peut encore m’envoyer des vidéos où on les voit tous les cinq blottis les uns contre les autres quand les bombes tombent. Ils se mettent dans la pièce centrale de l’appartement et attendent que ça passe. Il me dit : « Que la bombe tombe ou non sur notre immeuble, c’est Inch’Allah. »

Et les autres ?

Je suis très inquiet pour Falesteen Rusrus, la directrice du département de français de l’université al-Aqsa de Gaza. Elle ne donne plus signe de vie. L’université est en ruines. Des sept facs de Gaza, plus une seule ne serait debout. J’ai heureusement des nouvelles des jeunes danseuses et danseurs mais je ne sais pas ce qui est arrivé à l’entraîneuse de foot ni aux travailleurs sociaux qu’on voit dans le film. (...)

Comment réagissez-vous à l’arrestation de l’une des protagonistes du film, Mariam Abudaqa, le 16 octobre, à Marseille ?
Membre gazaouie du Front populaire de libération de la Palestine [FPLP, listée « organisation terroriste » par l’Union européenne, ndrl], Mariam Abudaqa est l’une des nombreuses intervenantes de mon film, aux côtés de Ken Loach ou de Jean-Pierre Filiu, grand connaisseur du Moyen-Orient, et de Gaza en particulier. J’ai accueilli Mariam à Lyon, au début de sa tournée française. Le soir même, elle découvrait Yallah Gaza. Elle m’a serré très fort dans ses bras en me disant combien elle était heureuse de la présence dans le film des Juifs israéliens car, m’a-t-elle dit, il faut montrer que les Israéliens ne sont pas tous, loin de là, derrière la politique d’expansion coloniale du gouvernement de Netanyahou. C’était sa première réaction.

Il ne me revient pas de commenter l’inscription du FPLP, la gauche marxiste de la résistance palestinienne, sur la liste des organisations terroristes. Qu’on veuille faire passer pour une dangereuse terroriste cette femme de 72 ans, militante reconnue du droit des femmes à Gaza, me semble un petit peu excessif, même si je sais qu’elle a passé une partie de sa jeunesse dans la résistance armée palestinienne. Je trouve scandaleux qu’on veuille l’expulser de France alors qu’elle y est arrivée légalement, munie d’un visa valide, pour assister à différents évènements – dont la projection de Yallah Gaza à l’Assemblée nationale. Où M. Darmanin veut-il l’expulser exactement ? La maison d’Abudaqa n’est plus qu’une ruine, elle a perdu vingt-neuf membres de sa famille dans les bombardements israéliens. Pourquoi vouloir en plus l’empêcher de parler ? (...)

La projection prévue le 9 novembre à l’Assemblée nationale est-elle maintenue ?
À l’heure où je vous parle, cette séance organisée à l’initiative de deux députés de la France insoumise est toujours au programme. Je dois m’y rendre en compagnie d’un autre intervenant du film, Pierre Stambul, porte-parole de l’Union juive française pour la paix (UJFP). Cela dit, le député franco-israélien Meyer Habib a demandé à la présidente de l’hémicycle de l’interdire.

La sortie nationale de “Yallah Gaza” est prévue le 8 novembre, sur une trentaine d’écrans. La guerre va-t-elle compliquer son exploitation ?
Deux exploitants d’Auvergne-Rhône-Alpes m’ont déjà fait savoir qu’ils préféraient reporter la programmation de mon film à une date ultérieure. Certaines préfectures mettent la pression sur les responsables de salles de cinéma pour qu’ils annulent les projections, invoquant des raisons de sécurité. (...)

Dans l’ensemble, la plupart des exploitants tiennent bon en expliquant qu’il n’y aura pas de problème et qu’en aucun cas ce film n’incite à la haine. (...)

Le contexte exige de revenir aux origines du conflit. La Nakba, la création de l’État d’Israël, la réduction à la portion congrue du territoire palestinien depuis 1967, la colonisation, etc. Bon nombre de spectateurs ne connaissent qu’une toute petite partie de l’histoire. Dans les salles, il y a des gens en larmes, qui ont autant envie de s’exprimer sur le drame des Palestiniens que sur la souffrance des civils israéliens visés par le Hamas.

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