
L’Assemblée nationale a voté ce jeudi la suppression du Haut Conseil chargé d’évaluer le travail universitaire, instance depuis longtemps décriée par une partie de la communauté scientifique. Décryptage avec la chercheuse Clémentine Gozlan.
(...) Cette instance indépendante, chargée d’évaluer les universités et les laboratoires de recherche, épinglée par un rapport de la Cour des comptes sur ses « dérives » et son « manque de rigueur », est vivement critiquée par une partie de la communauté académique, qui l’accuse de « bureaucratiser » et de « standardiser » la recherche universitaire. L’avenir de l’amendement dépend désormais de la commission mixte paritaire chargée d’examiner le projet de loi sur la « simplification de la vie économique » auquel il est adossé.
La dernière vague d’évaluations du HCERES, particulièrement défavorable aux facs accueillant beaucoup d’étudiants défavorisés et aux cursus en sciences sociales, avait soulevé une vague d’indignation, qui a abouti à ce vote parlementaire. Clémentine Gozlan, maîtresse de conférences en sociologie à l’Université de Versailles - Saint-Quentin-en-Yvelines, spécialiste de l’évaluation de la recherche, décrypte le rôle du HCERES et les enjeux politiques de ses évaluations. (...)
L’évaluation est conduite « par les pairs », c’est-à-dire que le HCERES nomme des comités d’évaluateurs composés d’enseignants-chercheurs et de chercheurs qui apprécient la qualité et le fonctionnement des laboratoires de leur domaine. Les critères ne sont pas libres : leur avis doit être adossé à des indicateurs qui tiennent peu compte des différences entre disciplines et entre les territoires. Le rapport d’évaluation a de multiples usages, d’un outil de réflexion pour les laboratoires à un instrument de décision d’allocation des budgets au sein des établissements, d’où un risque d’évaluation « punitive ».
Quel regard portez-vous sur le travail qu’a accompli le HCERES jusqu’ici ?
Depuis la création de son ancêtre, l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES), mise en place en 2007 sous Nicolas Sarkozy, le HCERES a eu de nombreux effets sur la vie scientifique. Il a d’abord généré une bureaucratisation, dont atteste le nombre d’indicateurs, de documents, de tableaux Excel à remplir (par les évalués) et à jauger (par les évaluateurs). Promues pour éviter les conflits d’intérêt et les évaluations de complaisance, ces règles formelles très lourdes conduisent une partie des chercheurs à y voir un dévoiement de l’évaluation par les pairs où le jugement sur la qualité scientifique finit par passer au second plan.
Le HCERES a ensuite entraîné une standardisation des pratiques académiques, au détriment des singularités (...)
le financement sur projet, qui met en compétition des projets de recherche avec un nombre de lauréats assez faibles, ou l’internationalisation des publications, qui incite à publier régulièrement des articles en anglais dans la presse étrangère, alors que c’est peu naturel pour certains champs de la recherche, comme la littérature.
Le HCERES a été créé en 2013, pourquoi sa suppression a-t-elle été mise à l’ordre du jour ?
Cette instance n’a jamais cessé d’être critiquée, des syndicats jusqu’à l’Académie des sciences. Sa création est elle-même le produit des critiques faites à son ancêtre l’AERES… pour qu’elle renaisse sous une forme à nouveau en passe d’être destituée par les parlementaires. L’une des raisons de ce vote tient aux coûts humains et financiers (24 millions d’euros de budget en 2024) engagés dans l’exercice d’évaluation. Certains estiment que ces ressources seraient mieux utilisées par les universités, qui manquent cruellement de moyens pour conduire leur travail. Ce qui a rallumé la contestation, c’est la récente vague d’évaluation, qui a abouti pour certaines universités à près de 50 % d’avis défavorables (...)
Ces évaluations révèlent surtout une définition de l’« excellence académique » peu ajustée aux réalités du terrain. (...)
Le HCERES devait faire sortir la fonction d’évaluation de la recherche des prérogatives de l’État pour instaurer une séparation formelle entre l’évaluation et les décisions prises par l’exécutif, pour garantir la production d’une évaluation « objective ». Or, comme le montrent les sciences sociales, l’objectivité est en partie une fiction : les points de vue prennent sens dans un environnement institutionnel et politique particulier. Le travail qu’il reste à faire n’est pas de se draper dans une prétendue neutralité, mais plutôt d’expliciter les objectifs des évaluations et de rendre plus transparent le processus de production des avis. (...)
Les évaluations du HCERES renforcent considérablement les inégalités scientifiques et la hiérarchisation des établissements. Ces inégalités ont toujours existé, mais leur accroissement est devenu un objectif politique assumé à partir des années 2000, où ont émergé des programmes visant à concentrer les ressources sur certains sites universitaires, au détriment des autres. En témoigne le projet récent de la direction du CNRS d’allouer la majeure partie des chercheurs et des financements à une poignée de « laboratoires-clés » — abandonné face aux nombreuses critiques. (...)
Cette vague d’évaluations négatives est ainsi le résultat de décennies de désinvestissement de l’État dans les universités. Lorsque l’évaluation rendue est négative en raison du « manque de personnel titulaire », comment ne pas y voir la sanction des politiques d’assèchement des recrutements d’enseignants-chercheurs, remplacés par des personnels temporaires mal payés ? Ces évaluations auraient plus de sens si les présidences d’université s’en servaient pour réclamer à l’État les moyens à la hauteur des enjeux de formation des citoyens.