
Caristes, chauffeurs-livreurs, préparateurs de commande... Le grand plan de licenciements, annoncé par Auchan début novembre, concernera aussi la livraison à domicile, laissant sur le carreau 224 salariés.
« Le directeur nous a envoyé ses vœux pour les fêtes de fin d’année, mais quel genre de fêtes on passe en sachant qu’on va tous être bientôt virés ? », s’étouffe Kamel Bouaaklaine, contrôleur de parc dans l’entrepôt de livraison de Chilly-Mazarin en Essonne.
Pendant que d’autres préparaient les cotillons et mettaient le champagne au frais, les salarié·es des entrepôts d’Auchan s’épanchaient sur leur désarroi. Le 5 novembre dernier, l’annonce est tombée comme un couperet : Auchan, qui appartient à la galaxie Mulliez, ferme des magasins, des services entiers, mais aussi tous ses entrepôts dédiés à la livraison à domicile. En tout, 2 389 postes sont supprimés dans le groupe, dont 224 dans les entrepôts. (...)
À l’heure où nous publions cet article, Auchan n’a pas répondu à nos questions. Dans leur communiqué de presse paru le 5 novembre dernier, le groupe présentait ainsi son plan de licenciements : « Au cœur de ce plan de retour à la croissance, il y a la conviction que les hypermarchés ne sont pas un modèle du passé... Pour les adapter à l’époque, Auchan leur assigne un nouveau rôle. Au cœur de leur zone de vie, ils deviendront de véritables plateformes de la marque préparant les commandes et les produits faits maison à destination des supermarchés, des drives ou de la livraison à domicile. »
« Ça fait quinze ans que je bosse pour Auchan, ça m’a laissé des tendinites comme tous mes collègues, raconte Vincent Marceau, chauffeur-livreur à Chilly-Mazarin. Chaque jour, avec les courses des clients, on monte des étages et des étages. On porte ce que les gens ne veulent plus porter et voilà comment on nous remercie. »
Et aux douleurs physiques, il faut ajouter l’épuisement. Christelle, préparatrice de commandes à l’entrepôt de Saint-André-lez-Lille, résume sa journée à : « On prélève, on prélève, on prélève, on marche, on marche, on marche. » Son état à la fin de la journée : « La fatigue, la fatigue, la fatigue. »
Une fatigue d’autant plus présente qu’elle et ses collègues travaillent en horaires décalés, de 5 heures à 12 heures ou de 13 heures à 20 heures. (...)
« J’étais tellement épuisé par mes tournées que je ne m’occupais même plus de ma femme, on a divorcé. »
À 59 ans, il craint d’être « trop vieux » pour retourner sur le marché de l’emploi, d’autant plus que « dans le transport, ils embauchent surtout des petits jeunes ». Il rêvait ses dernières années de boulot assis dans un bureau, au poste d’assistant : « J’aurais pu faire valoir mon expérience de terrain pour aider mes collègues à mieux organiser les tournées, mais non, ils ferment l’entrepôt. Et moi, ils me jettent dans un trou. »
Des reclassements low cost
Dans sa communication de novembre, Auchan annonçait un « nouveau schéma logistique pour la livraison à domicile » et promettait que, bien que les entrepôts ferment, « le service sera assuré par les drives, ce qui permettrait la création de 114 postes ».
« Dans un deuxième temps, à l’oral, ils nous ont annoncé que finalement il n’y aurait que 80 créations de postes, mais de toute façon, rien n’est jamais sûr avec eux », s’agace Aziz Chakir, salarié de l’entrepôt de Chilly-Mazarin depuis quinze ans.
Et le délégué du personnel est d’autant plus agacé que, selon lui, les 224 futur·es licencié·es ne seront pas forcément assuré·es d’obtenir ces postes-là (...)
Pour compenser, le groupe propose le maintien du salaire antérieur seulement pendant un mois pour les salarié·es avec moins de deux ans d’ancienneté et jusqu’à cinq mois pour ceux ayant plus de dix ans d’ancienneté… Pas de quoi rassurer les futur·es licencié·es.
« Les primes, c’est une grande partie de nos salaires. On a calculé, une fois ces compensations passées, les salariés qui prendront ces reclassements perdront entre 200 et 800 euros de rémunération » (...)
le groupe ne cesse de perdre des parts de marché. Au premier semestre, Auchan a accusé une perte d’un milliard d’euros, provoquée par une chute de 5 % de ses ventes. Des chiffres rarement vus jusqu’alors dans la grande distribution. (...)
si ce plan social est d’une ampleur sans pareille, dans les faits, la masse salariale d’Auchan s’amoindrit déjà depuis des années par le recours grandissant à des sociétés de sous-traitance. (...)
Depuis l’ouverture de l’entrepôt de livraison à Chilly-Mazarin en 2016, les salariés Auchan ont vu les chauffeurs-livreurs du groupe partir un à un, remplacés progressivement par des salariés embauchés par des entreprises prestataires. (...)
« Mon directeur m’a dit un jour que les prestataires coûtaient, à la journée, deux fois moins que moi, se souvient Vincent Marceau, lui-même chauffeur-livreur. Souvent, la livraison est faite dans de moins bonnes conditions, il manque des produits, il y a des retards… Je ne dis pas que c’est à cause des livreurs prestataires, je constate simplement. Mais ça, la direction s’en fout. Eux, ce qu’ils regardent, c’est ce qui rentre dans leurs poches. » (...)
En attendant, les futur·es licencié·es comptent bien forcer leur employeur à aligner des chèques conséquents. « On veut partir dignement, répète Kamel Bouaaklaine. Et la famille Mulliez a les moyens de nous faire partir dignement. »
En effet, si les chiffres d’Auchan sont plutôt en berne, son actionnaire principal, l’association familiale Mulliez, se porte très bien. Selon le dernier palmarès de Challenges, les Mulliez sont assis sur une fortune de 28 milliards d’euros, en hausse de 8 milliards par rapport à 2023. (...) (...)
Mais ce n’est pas tout, le reste des sociétés détenues par le même actionnaire est aussi en bonne forme. Decathlon, par exemple, a enregistré une année si prolifique qu’elle a versé un milliard de dividendes à ses actionnaires fin 2024.
« Donc, si on prend l’ensemble du groupe Mulliez, les chiffres sont bons, analyse Aziz Chakir. Mais eux persistent à nous assurer que ce n’est pas un groupe, que ce sont des entreprises différentes. Avec les autres syndicats, on défend l’inverse. » Pour l’heure, la demande de permettre aux licencié·es d’Auchan de demander des reclassements à Decathlon ou dans d’autres entités Mulliez est restée lettre morte.