
Le candidat démocrate à la mairie de New York a déclaré qu’« il ne devrait pas y avoir de milliardaires ». Des propos qui ont relancé le discours sur le ruissellement dans la presse économique, alors même qu’il est désormais intenable.
La victoire de Zohran Mamdani à la primaire démocrate pour la course à la mairie de New York a provoqué un vent de panique qui dépasse largement le camp trumpiste. Si le président états-unien a menacé le candidat de lui ôter sa nationalité en le traitant de « communiste fou », ce sont tous les milieux économiques de la ville qui sont effrayés. Et qui commencent donc à prendre des mesures pour éviter le scénario catastrophe de l’élection de Zohran Mamdani en novembre prochain. (...)
Depuis la victoire sans appel de Zohran Mamdani sur Andy Cuomo à la primaire, le Washington Post, propriété du président d’Amazon, Jeff Bezos, a publié un éditorial à charge pour montrer combien la victoire démocrate serait « mauvaise pour New York ».
Ce qui fait frémir l’establishment états-unien, c’est en particulier une phrase prononcée dans un entretien accordé par le candidat à la chaîne de télévision NBC : « Je ne pense pas que nous devrions avoir des milliardaires parce que, franchement, c’est tellement d’argent dans un moment où il y a une telle inégalité, et, à la fin, ce dont nous avons besoin, c’est de l’égalité dans notre ville, notre État et notre pays. »
Cette idée que les milliardaires seraient inutiles n’est pas nouvelle. Elle est depuis longtemps mise en avant par les démocrates socialistes, l’aile gauche du Parti démocrate à laquelle appartient le postulant à la mairie de New York. C’est un des piliers de l’argumentaire de Bernie Sanders et d’Alexandria Ocasio-Cortez, notamment au début de sa carrière politique, lorsqu’elle proclamait que « tout milliardaire est le signe d’une erreur de politique ». (...)
Cette question n’est pas anecdotique. Elle est même fondamentale par ses implications économiques et stratégiques. Au-delà du cas Mamdani, c’est la possibilité d’une organisation économique alternative – et de ses conditions – qui est en jeu. Aussi est-il essentiel de la poser dans le débat, comme le fait le candidat démocrate, pour s’interroger sur l’utilité réelle des milliardaires.
La faiblesse de la défense des milliardaires
La réponse de la pensée économique dominante est toujours la même : les milliardaires sont utiles au bien-être général parce qu’ils créent de l’activité, de l’emploi et de la « richesse ». (...)
Les titans de Wall Street allouent le capital de manière plus efficace, ce qui, au cours du temps, augmente la productivité et les salaires des travailleurs dans toute l’économie », résume Michael Strain, pour qui, par ailleurs, les milliardaires sont des « incitations » pour les jeunes à devenir « plus en réussite ».
L’exemple du bonheur que produisent les milliardaires est, pour l’auteur… Jeff Bezos. Utilisant les modèles du « Prix Nobel d’économie » William Nordhaus – par ailleurs connu pour avoir considéré qu’un réchauffement de 4 degrés était « optimal » économiquement, c’est dire si on peut lui faire confiance –, Michael Strain estime que Jeff Bezos n’aurait capté que 2,2 % de la richesse qu’il a créée, et qu’il a ainsi contribué à distribuer pas moins de 11 000 milliards de dollars « pour le reste d’entre nous ». C’est l’équivalent de près de 10 % du PIB mondial annuel. Rien que cela.
Cet article est, disons-le, extrêmement étonnant par sa faiblesse. Il déroule un discours néoschumpétérien en niant intégralement la réalité économique sous-jacente. Or, cette réalité est bien différente de ce que décrit Michael Strain : l’explosion du nombre de milliardaires s’est accompagnée concrètement d’un affaiblissement de la croissance et de la productivité.
En réalité, cela n’a rien d’étonnant.
Contrairement aux belles histoires que ce type d’article raconte, l’accumulation du capital se réalise depuis plusieurs années moins sur les gains de productivité que sur la rente. Jeff Bezos n’est pas devenu richissime grâce aux gains de productivité qu’il a réalisés, mais grâce au quasi-monopole à base technologique qu’il a construit et qui rend les consommateurs dépendants de ses outils.
Les milliardaires sont de plus en plus riches non pas parce qu’ils investissent dans l’outil productif, mais parce qu’ils ont mis en place des systèmes de capture de valeur, notamment par des moyens financiers et technologiques. (...)
Bien sûr, Jeff Bezos et les autres créent de l’emploi, mais ce n’est qu’une partie de la réalité. Car une partie notable de ces emplois viennent se substituer à d’autres, détruits par l’activité d’Amazon. La vraie question est donc de savoir si l’activité de ces milliardaires permet d’entraîner l’ensemble de l’économie dans une dynamique positive ou non. (...)
le nombre de milliardaires a été multiplié par 17,6 en termes réels en quarante ans. Or, en parallèle, le salaire médian réel, lui, a augmenté de 18,2 % aux États-Unis, ce qui, sur quarante et un ans, est extrêmement faible. Quant à la moyenne annuelle des gains de la productivité du travail, elle est passée de 2,7 % entre 1950 et 1970 à 1,5 % entre 2002 et 2022.
Dans le monde entier, le nombre de milliardaires est passé de 140 à 2 043 entre 1987 et 2017, et la fortune qu’ils détiennent est passée de 295 milliards de dollars à 77 000 milliards de dollars. La fortune par milliardaire a été multipliée sur cette période par 37,7, alors que le PIB par habitant nominal mondial a été multiplié par 3,1. Les milliardaires se sont donc enrichis plus de dix fois plus que la moyenne des habitants de la planète.
Comment soutenir dans ces conditions cette idée de Michael Strain que l’enrichissement des milliardaires serait marginal ? En réalité, tout l’argument de cette tribune est bâti sur du sable (...)
La critique de l’inégalité
Il ne reste alors qu’un discours moralisateur sur le « mérite » et les incitations. Mais la divergence entre la croissance de l’économie et celle de la richesse des milliardaires montre bien que le problème est plus grave. En réalité, la classe des ultrariches place clairement son désir d’accumulation au-dessus de sa participation à l’activité générale.
C’est pour cette raison qu’elle a recours, pour poursuivre son enrichissement, à des moyens fortement improductifs comme la rente (l’utilisation de la hausse des prix pour avoir accès à des services que le public juge incontournables), l’immobilier, et la finance dans sa dimension la plus caricaturale que sont, par exemple, les cryptomonnaies. (...)
La critique de l’inégalité
Il ne reste alors qu’un discours moralisateur sur le « mérite » et les incitations. Mais la divergence entre la croissance de l’économie et celle de la richesse des milliardaires montre bien que le problème est plus grave. En réalité, la classe des ultrariches place clairement son désir d’accumulation au-dessus de sa participation à l’activité générale.
C’est pour cette raison qu’elle a recours, pour poursuivre son enrichissement, à des moyens fortement improductifs comme la rente (l’utilisation de la hausse des prix pour avoir accès à des services que le public juge incontournables), l’immobilier, et la finance dans sa dimension la plus caricaturale que sont, par exemple, les cryptomonnaies. (...)
le « ruissellement » n’existe pas. Au reste, ces belles histoires oublient soigneusement que les milliardaires profitent allègrement du soutien de l’État, que ce soit dans le financement de la recherche, les subventions, la protection de leurs intérêts face au monde du travail ou les baisses massives d’impôts. Sans l’État, les milliardaires ne seraient sans doute pas plus utiles à l’économie, mais seraient indéniablement moins riches.