
Avec la reprise de leur immeuble, des locataires de la résidence brestoise Avel ont perdu le service autonomie à domicile qui leur avait pourtant fait choisir cet établissement, plutôt qu’un autre. Après deux mois à réclamer des explications, ils viennent d’obtenir la garantie de pouvoir rester dans leur appartement « jusqu’au bout de la vie » mais, estiment-ils, sans « la sécurité » que leur conférait leur premier contrat de location.
(...) « Avant, il nous suffisait d’aller voir le coordinateur de santé et il prenait en charge toutes les démarches administratives. Aujourd’hui, reprennent Jeanne et Annie, nous sommes seules, face à nous-mêmes. »
Pour comprendre ce « sentiment de gâchis », il faut revenir en 2013. Année qui voit la société de services financiers Heurus débarquer dans le secteur très lucratif des résidences services seniors.
Comme l’indique son site internet, cette filiale du promoteur immobilier Réalités met en avant « (sa) spécificité : le service autonomie à domicile. Réponse adaptée et personnalisée à la prise en charge de personnes âgées nécessitant un accompagnement, une coordination de santé ou ayant besoin d’un service d’aide au quotidien ».
« Vivre à la bonheur », plus qu’une devise, un mantra, frappé de plein fouet par les crises immobilières successives de 2023 et 2024. Des crises qui voit le groupe Réalités contraint d’engager un plan de cession de plusieurs de ses filiales. Avant d’enclencher, le 25 septembre 2024, une procédure de conciliation auprès du tribunal de commerce de Nantes.
Le 8 janvier 2025, c’est au tour d’Heurus de se voir placée en redressement judiciaire. « Le problème n’est pas lié à l’exploitation des résidences mais à leur développement », justifiait ainsi Catherine Labardant, sa présidente, dans Ouest-France.
En plus de la cession des bâtiments en construction, la société scelle un accord avec le groupe Aquarelia, qui reprend trois de ses résidences bretonnes, dont celle de Brest.
Six mois après cette restructuration, « notre activité est stabilisée », communique encore la présidente d’Heurus. Au point de s’être vu accorder une nouvelle période d’observation, le 18 juin dernier, par le tribunal de commerce de Nantes.
Des résidents « fatigués » par la situation
Ce que ne dit pas cette restructuration, c’est le sort réservé aux principaux intéressés. (...)
« Au départ, j’étais rassurée », dit celle qui s’est installée, à l’été 2022, dans son T3, à Avel. D’autant plus que la direction de l’époque lui certifie que l’établissement est équipé pour accompagner les personnes « jusqu’au bout de la vie, en toute sécurité ».
Et voilà comment l’ancienne prof de maths décide de « sortir (son) époux d’un Ehpad où cela ne se passait pas bien », pour l’installer, en 2023, dans un studio.
« Dès la signature de nos contrats, on s’y est tout de suite sentis bien », retrace l’octogénaire. Il faut dire que le recrutement d’un coordinateur de santé et de quatre auxiliaires de vie n’y est pas pour rien.
« À notre arrivée, il y avait même cette euphorie de tester quelque chose de nouveau, racontent certains de ces anciens du secteur médico-social, rencontrés par Splann !. Même si on s’est posé la question de bosser dans le privé, on restait convaincu que cela avait du sens. »
Atteint de troubles cognitifs sévères, le mari de Jeanne ne peut plus se déplacer seul. C’est alors que le personnel décide de mettre en place un suivi sur mesure.
« Du fait de sa pathologie, ce monsieur était aussi désorienté dans le temps, revivent ces anciens d’Avel. L’idée était donc d’aller le chercher aux heures de repas pour le cadrer. »
Une prise en charge qui permet à son épouse de « profiter de l’ambiance du quartier des Capucins, de se libérer l’esprit. Plus qu’un équilibre de vie, glisse-t-elle, cela m’a permis de me sentir citoyenne ».
Fragile, cet équilibre a commencé à vaciller avec les ennuis financiers d’Heurus.
Comme lorsque le « pack services », souscrit par Jeanne avec sa « formule bonheur » – comprenant, pour 2.000 €, le loyer, la coordination, les repas et l’animation -, « a changé en 2024, sans que l’on en soit avertit », maugréée la retraitée.
Ce à quoi, les anciens salariés tiennent à préciser : « En fait, ces changements étaient bien affichés dans la résidence, mais écrits trop petits, pour la plupart des résidents. » (...)
e qui va décider ces résidentes et leurs familles à témoigner à visage découvert, c’est la fermeture du fameux service autonomie à domicile (SAD), suite à la reprise de la résidence Avel par Aquarelia, le 1er avril 2025. Ainsi que le licenciement, pour raison économique, du coordinateur de santé et d’au moins trois autres salariés, quasi dans la foulée.
Un surcoût médical de 600 € par mois
Interrogé sur cette fermeture « brutale » qui, d’après nos informations, concernait encore une dizaine de résidents jusqu’en mars 2025, Aquarelia répond que « l’intégration de prestations services à domicile soulève de nombreux sujets comme l’obtention d’agréments, non transférables dans le cadre du rachat de fonds de commerce ».
Avant d’ajouter : « Comme à la maison, les résidents souhaitant bénéficier de soins médicaux ont la possibilité de choisir leurs prestataires et spécialistes […] dûment habilités à prodiguer les soins. » Exactement, ce qu’a fait Jeanne, mise devant le fait accompli.
« Depuis deux mois, souffle-t-elle, chaque matin, je dois m’assurer que mon mari prenne bien son petit-déjeuner, en chambre et que, le soir, quelqu’un vienne le chercher, pour le descendre en salle à manger. Un stress tel, que pour m’aider, j’ai dû faire appel aux services d’un infirmier à domicile et d’une AVS. »
Selon les calculs de cette ancienne prof de maths, « même si nous bénéficions d’une déduction sur impôts et d’un complément, grâce à l’allocation personnalisée autonomie de mon mari, le coût de ce service d’aide à domicile est de 600 € par mois, pour une demi-heure d’intervention par jour ».
Des frais supplémentaires qui, pour l’heure, s’ajoutent à la « formule bonheur », déjà souscrite par le mari de la retraitée. Soit 2.700 €, « loyer, repas et SAD compris ». (...)
Malgré une « pression concurrentielle assez élevée » sur la métropole, les quelque 850 logements privés non médicalisés pour seniors déjà sortis de terre, ou en passe de l’être à la fin 2025, n’absorberont jamais le vieillissement de toute une population.
À en croire les projections démographiques des personnes dépendantes, établies par l’Agence de l’urbanisme Brest Bretagne, à l’horizon 2050, « le nombre de seniors finistériens en situation de perte d’autonomie devrait atteindre les 55.000, dont 13.000 en situation de dépendance sévère ».
« La maison vieillit et on regarde ailleurs », paraphrase Mathilde Maillard, en guise d’analyse. Élue à la Ville de Brest, en charge de la politique du « bien-vieillir », celle qui est aussi médecin généraliste dit avoir été « mise au courant de ce qui se passe à Avel, sans autre forme de commentaire », précise-t-elle. (...)
« Dans une société où l’on cherche à vider les hôpitaux, où trouver un service médical en ville relève quasi de l’impossible, résument, en écho, d’anciens salariés d’Avel. Dans une société où la rentabilité prime sur la solidarité, on a parfois l’impression d’assister à l’avènement d’un projet validiste, où seuls les seniors, en bonne santé et avec de l’argent, auraient leur place. »
(...)