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Philippe Bihouix : « Le monde d’après sera celui de la sobriété systémique »
#alternatives #sobrietesystemique
Article mis en ligne le 28 avril 2025
dernière modification le 26 avril 2025

Alors que les ressources se raréfient et que le monde s’automatise toujours plus, l’ingénieur pionnier des low-tech Philippe Bihouix prône dans cet entretien une « sobriété systémique » organisée par l’État

(...) Reporterre — Vous êtes ingénieur et avez été l’un des premiers à alerter sur la pénurie prochaine des matières premières. Comment imaginez-vous le monde d’après le capitalisme ?

Philippe Bihouix — C’est un monde où l’on est réconciliés avec le vivant, mais aussi où l’on a réussi à s’organiser collectivement autour d’une sobriété systémique. Je ne parle pas ici d’un retour à l’âge de pierre — l’image est convoquée chaque fois que l’on évoque une trajectoire autre que l’astrocapitalisme promu par Elon Musk [le patron, notamment, de Tesla] ou Jeff Bezos [le patron, notamment, d’Amazon] —, mais d’un monde où l’on a fait évoluer nos valeurs et, d’une certaine manière, nos rêves.

Les vieux rêves de l’humanité ont peut-être toujours été les mêmes : l’immortalité, l’abondance, la capacité à avoir des esclaves qui nous servent. Dans l’Antiquité, il y avait des esclaves humains, puis il y a eu des esclaves machines, qui désormais ne suffisent plus. On nous promet donc à présent des esclaves robots, avec cette idée que l’on va tous avoir des assistants personnels. (...)

avec le remplacement des humains par des machines —, nous consommons davantage de ressources. Le problème est que toutes les organisations — entreprises et administrations — sont incitées à fonctionner de cette manière : c’est meilleur pour le résultat net, cela augmente la qualité des produits et, en plus, une machine ne fait pas grève.

Dans le même temps, cela crée des externalités environnementales négatives et entraîne un pillage des ressources. (...)

. Au-delà du réchauffement climatique, l’époque de l’Anthropocène se caractérise par les milliards de tonnes de ressources extraites par les humains, et par la création de déchets. À un moment donné, il sera nécessaire que davantage de personnes travaillent dans des secteurs ayant pour but de réparer ces dommages. Cela dit, il y a déjà des activités professionnelles qui promeuvent des promesses technoréparatrices de la planète : la géo-ingénierie, la capture et le stockage de carbone… (...)

Il y a plein de choses à inventer. Par exemple, concernant l’utilisation de l’énergie en période de pénurie, on pourrait imaginer dans un futur proche de flécher prioritairement celle-ci vers les services essentiels, comme les hôpitaux et les transports. Et que, par exemple, pendant deux jours à la maison, je m’enveloppe dans une couette plutôt que de mettre le chauffage. (...)

En fait, aujourd’hui, nous sommes très capricieux en tant que citoyens-consommateurs, alors que la plupart des services auxquels nous avons accès fonctionnent au cordeau. (...)

Peut-être que demain nous reviendrons à des logiques où l’on acceptera des dégradations de performance, lesquelles auront été décidées de manière plus démocratique que technocratique. (...)

Les « low-tech » sont-elles la technologie du monde d’après ?

Les low-tech, au départ, renvoient à la question des ressources. Je suis passionné par les notions de ressource non renouvelables et d’inéluctabilité de la consommation des ressources. Lorsqu’il est en fin de vie, le recyclage est en effet beaucoup plus complexe et donc impraticable malgré ce que l’on nous dit. Or l’un des paramètres de cette question du recyclage est l’inflation technologique : les objets qui nous entourent contiennent de plus en plus de choses bizarres. Des circuits intégrés miniaturisés, des écrans, des afficheurs… Cette course extractiviste nous éloigne d’une possible logique de circularité. L’idée est donc de ne pas produire des objets se caractérisant par leur haute technologie, mais plutôt par leur basse technologie.

Cela renvoie à un monde de sobriété, d’économie de ressources et de durabilité. À l’heure où la question des ressources vient heurter celle des limites planétaires, et alors que l’on assiste à une raréfaction des ressources, il faudrait faire de la sobriété tout court, en renonçant à des choses dont nous n’avons pas besoin. Ensuite, nous pourrions faire de la sobriété de dimensionnement, d’usage, de fonctionnement, par exemple en partageant des voitures, des bâtiments, des objets…