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Afrique XXI
Les étudiants africains, un enjeu stratégique pour la Russie
#Russie #universites #etudiantsAfricains
Article mis en ligne le 9 novembre 2025
dernière modification le 4 novembre 2025

Enquête · La Russie est une destination académique de plus en plus attractive pour les étudiants venus d’Afrique. Selon les autorités, leur nombre dépasserait désormais celui enregistré à l’époque soviétique. Moscou s’emploie à promouvoir ses campus et à faciliter leur venue, y voyant un puissant levier d’influence.

Comme chaque 1er septembre depuis quatre ans, Ahmat (le prénom a été modifié) reprend le chemin des cours à l’université de Barnaul, en Sibérie. Après y avoir obtenu sa licence en informatique, ce jeune Tchadien fait son entrée en master. Depuis son arrivée, le cursus s’effectue entièrement en langue russe. « J’ai choisi la Russie parce que je sais qu’il y a des opportunités pour nous, les Africains, et j’avais fait mon choix depuis le collège », assure-t-il. Une fois ses études terminées, Ahmat explique hésiter entre rentrer au Tchad ou bien rester, « puisque [il] considère désormais la Russie comme [son] pays ».

Si les chiffres de la rentrée 2025 ne sont pas connus, la Russie aurait accueilli plus de 30 000 étudiants africains lors de l’année universitaire 2024-2025, contre 17 000 en 2019. « C’est le niveau le plus élevé de toute l’histoire », s’enthousiasme Avbakar Nutsalov, président de l’organisation du groupe des universités d’État russes (Racus). (...)

Pour expliquer cet engouement, Avbakar Nutsalov met en avant « des frais de scolarité subventionnés » avec un hébergement « en résidences universitaires », et surtout « 1 200 programmes d’enseignement en russe, en anglais et en français ». Avec cette stratégie, l’ambition de Racus est de se poser en concurrent direct de l’Europe, qui reste le premier pôle d’attraction universitaire pour les Africains (près de 300 000 en 2023) (...)

Bourses d’État et influenceurs TikTok

Les étudiants étrangers sont d’abord incités à venir en Russie via l’octroi d’aides financières. Après avoir obtenu son baccalauréat à N’Djamena, Ahmat a ainsi candidaté et obtenu une bourse d’État octroyée par l’ambassade. Ces dispositifs datent de l’ère soviétique mais ont pris de l’ampleur ces dernières années (...)

Avbakar Nutsalov explique que Racus organise des événements et diffuse du matériel promotionnel comme des brochures « avec le soutien des ambassades », mais utilise aussi des « campagnes sur les réseaux sociaux et dans les médias ». Le réseau dispose ainsi de pages sur plusieurs réseaux sociaux pour chaque pays avec parfois du contenu sponsorisé, c’est-à-dire automatiquement recommandé aux utilisateurs basés en Afrique.

Quant à la plateforme chinoise TikTok, il suffit de taper « études Russie » dans la barre de recherche pour tomber sur des dizaines de comptes tenus par de jeunes Africains présentant leur quotidien d’étudiants ou de jeunes actifs dans le pays. Le ton varie, tantôt comique, tantôt sérieux, certains racontent des anecdotes tandis que d’autres donnent des conseils. Les formats sont très différents. Un point commun cependant : une partie importante de ces influenceurs incite, directement ou non, à venir étudier en Russie.

Opacité et sujets tabous (...)

excepté Ahmat, aucun étudiant africain actuellement en Russie n’a accepté de répondre à nos questions. « Le problème, c’est qu’ils ont peur de parler aux journalistes », explique Khadija (le prénom a été modifié), une ressortissante d’Afrique de l’Ouest ayant effectué une partie de son cursus en Russie. « Ils savent qu’ils peuvent être localisés et avoir des problèmes », ajoute la jeune femme. De son côté, Ibrahima Dabo rappelle « qu’être en Russie aujourd’hui, dans un contexte international tendu, demande une certaine réserve ». Il souligne que, culturellement, « certains sujets peuvent être considérés comme tabous ou délicats à aborder publiquement ». Le chercheur ajoute :

Cela explique en partie pourquoi les étudiants choisissent de partager leurs expériences de manière plus discrète, ou d’attendre leur retour au pays avant de témoigner plus librement. Pour autant, cela ne veut pas dire que l’expérience est négative ou qu’il y a un malaise général.
(...)

Sur TikTok, quelques influenceurs évoquent des sujets sensibles comme l’intégration ou les discriminations. « Si tu viens d’arriver et qu’on t’arrête presque tout le temps, ne t’inquiète pas, c’est normal et ce n’est pas du racisme », commente par exemple un Camerounais fin août. Selon les vidéos de plusieurs influenceurs, les contrôles de police et les expulsions du territoire sont fréquents et visent des personnes travaillant sans autorisation. Mais là aussi, impossible d’obtenir des détails sur le niveau de xénophobie ou d’insécurité qui touche les Africains. Ahmat lui-même refuse de répondre à ces questions. En septembre 2023, le meurtre raciste d’un étudiant gabonais à Ekaterinebourg avait défrayé la chronique, mais peu de cas similaires sont depuis recensés dans les médias.

« Perspectives enrichissantes » et business à la clé

L’expérience des étudiants africains est d’autant plus singulière que les universités sont souvent situées dans les villes périphériques : sur la dizaine d’influenceurs dont le lieu d’études est connu, aucun ne se trouve à Moscou ou à Saint-Pétersbourg. (...)