
La victoire nette de Trump à l’élection présidentielle amène immédiatement à s’interroger sur les raisons qui ont poussés tant d’Américains à voter pour lui, compte tenu de ses outrances en tous genres et de ses annonces sur la politique anti-sociale qu’il comptait mener. (...)
(...) Mettre l’accent sur la consommation, en la naturalisant comme un moment nécessaire de l’activité humaine est une nécessité vitale pour le capitalisme. Et c’est cette double extension, de la marchandisation de toutes choses, associée à une consommation devenue un mode d’être, souvent vécu comme une émancipation personnelle, voire politique, qui caractérise notre monde et conduit à un rétrécissement de l’horizon intellectuel de tous ceux qui s’y laissent prendre.
Ce n’est donc pas que les Américains soient des abrutis, mais qu’ils sont de plus en plus formatés au travers des innombrables sollicitations qui modèlent petit à petit leurs personnalités à ne devenir que des consommateurs tous pareils mais tous en concurrence, puisque ce que l’on consomme devient de plus en plus le signe de son statut social. C’est le syndrome de « la Rolex à cinquante ans »[8] étendu à la totalité de ce que l’on consomme. Et comme la consommation disparaît une fois la marchandise consommée, c’est un éternel recommencement qui incite au raisonnement à court terme centré sur ce que l’on peut acquérir tout de suite.
En ne pensant qu’à ce qu’il peut obtenir ici et maintenant, l’individu en oublie qu’il est pris dans des rapports sociaux qui le déterminent. (...)
Cet engrenage qui prend évidemment dans le pays capitaliste le plus développé une dimension qu’il n’a pas encore atteint ailleurs mais qui y est également à l’œuvre rend les individus indifférents aux problèmes de long terme comme le climat et la perte de biodiversité[10] avec leurs conséquences dramatiques tout en les focalisant sur leur rapport aux autres vécus comme des luttes pour leur propre survie sociale. Les autres, sont soit des concurrents en tant que consommateurs désirant les mêmes marchandises, soit des obstacles à écarter parce qu’ils n’auraient pas le droit d’y avoir accès du fait de leur statut particulier (immigré[11], « race », genre, sexualités, minorités diverses…).
Ce faisant, devenir un être humain sous un capitalisme en crise profonde se fait sous des contraintes de plus en plus fortes qui ne peuvent que peser sur les personnalités de ceux qui les subissent.
La crise anthropologique qui en résulte et qui n’opérait pour l’instant qu’à bas bruit, s’est traduite aujourd’hui au plan politique par l’élection de Trump vu comme le héraut d’un présent sans futur, promettant la jouissance immédiate dans la consommation[12].
La boucle est refermée. Dans un monde en crise profonde aussi bien économique qu’écologique et sociale, les êtres humains ne pouvaient qu’en subir les conséquences dans leurs personnalités, transformation se manifestant aujourd’hui sur un plan politique en mettant à la tête de la plus grande puissance mondiale un individu à l’image de la profondeur de cette crise qui ne pourra qu’en approfondir encore toutes les dimensions.
« Sortir » du capitalisme devient de plus en plus urgent mais l’élection de Trump en accélère une réalisation vers le pire.