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Mediapart
« La santé en premier, on ne veut pas la Coupe du monde » : au Maroc, la jeunesse lance une mobilisation majeure
#Maroc #jeunesse #mobilisation #repression #servicesPublics #GENZ212
Article mis en ligne le 2 octobre 2025
dernière modification le 29 septembre 2025

Samedi 27 et dimanche 28 septembre, la police a dispersé d’importantes manifestations dans plusieurs villes du Maroc, et procédé à de nombreuses arrestations. Les protestations étaient pourtant pacifiques, au nom du droit à la santé et à l’éducation

Casablanca (Maroc).– Voilà plusieurs jours qu’elles et ils se préparaient à marcher pour l’amélioration des services de santé, de l’éducation, ou encore contre la corruption. Le mouvement GENZ212 s’était donné rendez-vous samedi 27 et dimanche 28 septembre dans plusieurs villes marocaines.

Mais les manifestant·es n’auront pas eu le luxe de scander leurs slogans librement : les forces de l’ordre, massivement déployées, ont dispersé les rassemblements dans la confusion. (...)

Samedi, à Casablanca, la foule, essentiellement composée de jeunes, n’a pas pu accéder au parc de la Ligue arabe, condamné par un long cordon policier. Ils ont dû errer de part et d’autre du boulevard Hassan-II, criant pourtant leur pacifisme. Des familles venues se promener sur la place Mohammed-V ont pu contempler, stupéfaites, des jeunes se faire emmener dans les fourgonnettes de police.

Le lendemain, les manifestant·es casablancais·es ont opté pour la place Sraghna. Encore une fois, les forces de l’ordre les ont chassé·es, s’engouffrant dans les ruelles étroites du quartier populaire de Derb Sultan. Pendant un long moment, des petits groupes se sont dispersés puis reformés, dans un inlassable chassé-croisé avec la police. (...)

Les vidéos circulant sur les réseaux sociaux ont révélé une répression sévère dans tout le royaume (...)

Quelques semaines plus tôt, à l’hôpital Hassan-II d’Agadir, un scandale a éclaté : huit femmes ont perdu la vie à la suite d’accouchements par césarienne en l’espace d’une semaine. De quoi faire monter une sourde colère, d’abord locale, puis nationale, à l’égard de l’insuffisance des services publics les plus élémentaires. Alors même que le Maroc investit massivement dans des mégachantiers pour l’organisation de la Coupe du monde de football en 2030.

Le GENZ212, un ovni militant

Du mouvement GENZ212, on ne sait pas grand-chose, si ce n’est que ses membres se font les représentant·es de la génération née entre 1996 et 2010 : au Maroc, ce sont plus de 8 millions de personnes. L’émergence du mouvement a été rapide et sa capacité à fédérer puissante, usant d’une communication ultraconnectée, de mèmes, d’images générées par l’intelligence artificielle et de vidéos virales.

En somme, dans le paysage militant marocain, GENZ212 est un ovni. (...)

Se disant « patriote », le mouvement GENZ212 ne remet pas en cause la monarchie (...) Le mouvement est aussi apartisan... même s’il risque d’attirer la récupération politique.

À l’adresse de Nabila Mounib, députée du Parti socialiste unifié (PSU) venue manifester à Casablanca dimanche, le mouvement a adressé un message clair : « Merci d’avoir participé […]. Cependant, nous, les jeunes, ne sommes affiliés à aucun parti ni mouvement politique. »

De son côté, la Fédération de la gauche démocratique (FGD) a aussi exprimé sa solidarité avec le mouvement, en suspendant sa participation aux concertations avec le ministère de l’intérieur en vue de la réforme du Code électoral, arguant que tout scrutin perd son sens lorsque les libertés fondamentales sont bafouées. Les islamistes du Parti de la justice et du développement ont quant à eux reconnu des « frustrations et des revendications sociales légitimes », y lisant un « échec » du gouvernement en place.

Répression absurde

Pour GENZ212, il s’agissait de revendiquer le droit à une vie digne, avec un enseignement gratuit et de qualité, un meilleur accès à la santé, des médicaments abordables… Et aussi l’éradication de la corruption et la protection de la liberté d’expression, à un an des prochaines législatives.

L’accès au travail est aussi une préoccupation majeure pour les jeunes, particulièrement touché·es par le chômage. (...)

Pour ses toutes premières actions, GENZ212 se sera retrouvé face à une absurde répression. En témoignent ces images choquantes d’un jeune homme, jeté dans une fourgonnette de police avec sa petite fille dans un porte-bébé. Pour Samira Mizbar, cela ne va pas dissuader les jeunes de continuer, mais au contraire, motiver ces « utopistes » : « Pas la peine de convoquer au commissariat, de leur crier dessus ou les frapper. Ils répondront par une présence plus forte. » Le mouvement a d’ores et déjà annoncé d’autres mobilisations dans les jours qui viennent. (...)

L’article 28 de la Constitution, qui a évolué en 2011 à l’issue d’un autre grand mouvement social, celui du 20 février, garantit la liberté de rassemblement. Mais en pratique, c’est bien plus compliqué, car les manifestations mobiles nécessitent des autorisations souvent difficiles à obtenir.
L’hôpital public, catalyseur de la colère

À la suite du scandale de l’hôpital d’Agadir, surnommé « l’hôpital de la mort », plusieurs mobilisations avaient déjà été empêchées ces dernières semaines. À Agadir, Tiznit, Tata ou encore Béni Mellal, des décrets ont même interdit tout rassemblement devant les hôpitaux.

En parallèle de la répression, le gouvernement a voulu se montrer réactif. Le ministre de la santé a reconnu des dysfonctionnements, limogé plusieurs personnalités de l’administration régionale, et lancé des commissions d’inspection dans plusieurs hôpitaux. Toutefois, la stratégie adoptée pour gérer la crise – effets d’annonce d’une part, répression de l’autre – a surtout démontré la volonté du gouvernement d’empêcher une nouvelle poussée de fièvre contestataire. (...)

Pour les jeunes de 2025, l’horizon de la Coupe du monde 2030 ajoute du sel sur les plaies. La préparation de l’événement, coorganisé par le Maroc, l’Espagne et le Portugal, met en avant un paradoxe qui leur est insupportable.

Le Maroc est un pays où de nombreuses personnes sinistrées depuis le séisme du Haouz vivent toujours sous les tentes, et où les hôpitaux manquent cruellement de moyens, mais qui investit des sommes faramineuses dans des infrastructures paraissant secondaires : le plus grand stade du monde, en construction à Benslimane, coûtera à lui seul près de 5 milliards de dirhams (470 millions d’euros). Leur message à cet égard est limpide : « La santé en premier, nous ne voulons pas de la Coupe du monde ! »