Une partie des habitants de Guadeloupe ont été privés d’accès à l’eau du robinet début septembre. Comme un symbole d’une crise qui s’aggrave et de l’incapacité des autorités à agir.
(...) En Guadeloupe, les habitants paient 6,74 euros (hors taxes) par m3. Soit 55 % plus cher qu’en métropole selon la base de données des services publics d’eau et d’assainissement (SISPEA). Ce coût exorbitant pour un service défaillant nourrit la colère de la population contre le SMGEAG. De plus en plus d’abonnés refusent de régler leurs factures, souvent truffées d’erreurs, voire inexistantes. (...)
43 % de factures d’eau impayées
Cette grève des factures, qui a commencé dès la fin des années 2000, aurait été encouragée par de nombreux élus locaux. Elle a pris des proportions inquiétantes. Quand la SMGEAG a été créée en septembre 2021 pour succéder à l’ensemble des syndicats d’eau et d’assainissement, le taux des impayés étaient déjà très importants : 23 %, alors que la moyenne nationale est inférieure à 2 %. Depuis, il n’a pas cessé d’augmenter pour atteindre 43 % à fin 2023, selon un document remis par le syndicat à ses tutelles (les conseils départemental et régional et l’État) en juin 2024 et que Reporterre s’est procuré (page 30 du document).
« Quand Paris a pris connaissance de ce taux, personne n’a voulu y croire, raconte une source interne au syndicat. C’est à l’opposé de ce qu’affirmaient le préfet et les dirigeants du syndicat. Paris a même demandé un audit rapide pour vérifier s’il n’y avait pas de malversations ! » Le gouvernement (alors démissionnaire) a par ailleurs décidé de geler douze millions d’euros sur les vingt millions d’euros de la subvention annuelle versée pour financer l’exploitation. (...)
Cette passe d’armes entre Paris et Basse-Terre (voir encadré) interroge aussi sur la capacité du syndicat à tenir les promesses de la nouvelle version de son plan d’investissement pluriannuel, présenté début août. (...) Surtout, ce nouveau plan sacrifie les crédits alloués à l’assainissement (...)
Menace d’une fermeture des eaux de baignade
Une décision incompréhensible, alors que l’Autorité de santé régionale (ARS) ne cesse d’alerter sur les conséquences désastreuses des défaillances de l’assainissement, les eaux sales se déversant dans la nature et en bord de mer. (...)
La menace d’une fermeture d’ici la fin de la décennie de l’ensemble des points de baignade, en rivières ou en bord de plage, s’alourdit de mois en mois.
Quant aux investissements sur les infrastructures, si l’enveloppe a été augmentée, les travaux programmés, qui consistent à changer des kilomètres de grosses canalisations, seront insuffisants pour remettre l’eau au robinet. (...)
QUAND PARIS FAIT SEMBLANT DE DÉCOUVRIR LA RÉALITÉ
La colère des autorités de tutelles parisiennes contre les dirigeants du SMGEAG ont fait une victime : la responsable de l’agence comptable (chargée du règlement des factures et des salaires), une fonctionnaire de la direction régionale des finances publiques, n’a pas obtenu le renouvellement de son détachement, selon une source préfectorale. Selon une source interne au syndicat, le directeur financier du SMGEAG serait également menacé, ainsi que le directeur général délégué, Marcus Agbekodo. (...)
Mais cette poussée de fièvre subite qui a saisi Paris et les dirigeants guadeloupéens est en grande partie surjouée, voire factice. Depuis le début de l’année, aussi bien la tutelle parisienne que les élus locaux qui siègent au comité syndical du SMGEAG savent tout des problèmes au sein de l’agence comptable et de la direction financière. Un audit réalisé par la direction régionale des finances publiques, que Reporterre a obtenu, alertait dès le mois de janvier 2024 (...)
Mais la situation comptable et financière du SMGEAG est devenue tellement tendue qu’il faut maintenant désigner un bouc émissaire. (...)