
Planification écologique, diplomatie non-alignée, propriété des biens communs, désobéissance européenne : dans son nouvel ouvrage (Faites mieux ! Vers la révolution citoyenne, Robert Laffont, 2023), Jean-Luc Mélenchon développe les axes programmatiques et théoriques de son mouvement. Il y détaille les modalités d’une rupture face à un capitalisme « tributaire », caractérisé par son contrôle sur les réseaux collectifs. Entretien autour de son livre et autour des enjeux stratégiques actuels.
LVSL – Dans votre livre, vous consacrez de nombreuses pages aux transformations que le capitalisme impose à l’espace et au temps. Pouvez-vous revenir sur ce point de départ ?
Jean-Luc Mélenchon – Je réintroduis l’espace et le temps non comme des arrière-plans, mais comme des éléments centraux pour la compréhension du monde dans lequel nous existons. Mon angle d’attaque est le suivant : le temps comme l’espace sont des productions sociales à part entière. Cela étant posé, je m’en sers comme point de départ pour montrer comment ces deux concepts s’articulent en une réalité unique, un « espace-temps » propre au capitalisme. (...)
Avec le capitalisme, la fusion du temps et de l’espace s’est approfondie. Il ne s’agit plus seulement d’une conjonction mais d’un mouvement a priori inarrêtable de contraction de ces deux éléments. (...)
Or, si les rythmes dominent et construisent l’espace-temps, quel est le rythme du capitalisme financier ? C’est celui qui tend à se rapprocher du temps zéro – celui du light, du flux tendu, de l’instantané, de l’immédiat. Celui du trading à haute fréquence. Le temps zéro devient la limite vers laquelle tendent les rythmes fondamentaux de notre société. Je trouve particulièrement significatif, de ce point de vue, de voir employée l’expression « en temps réel » pour désigner le temps immédiat. (...)
Mais à tous les moments, le temps social est un rythme en accord avec le rythme social dominant. À présent c’est celui du capitalisme. La formule du cycle capitaliste est connue, c’est celle de la marchandise qui se transforme en argent, lequel devient marchandise puis se transforme à nouveau en argent, etc. Le capitalisme, quoi qu’on en pense, ne peut faire autrement que d’accélérer ce rythme de reproduction du capital. (...)
L’espace-temps du capitalisme contemporain ne correspond à rien d’autre qu’à son propre intérêt et il vient heurter fondamentalement tous les autres cycles, biologiques, psychiques mais aussi et surtout les cycles naturels. (...)
Notre proposition est contenue dans notre formule politique : l’harmonie des êtres humains entre eux et avec la nature. L’harmonie est un concept poétique, mais d’un point de vue musical et matérialiste il s’agit de la synchronie de deux rythmes. Ce dont nous parlons avec le concept de planification écologique, c’est précisément d’organiser cette synchronie. Il s’agit d’une action concrète, destinée à compléter la « règle verte » formulée en amont et en vertu de laquelle on ne doit jamais prendre à l’écosystème au-delà de ses possibilités de reconstitution et bien sûr dans le délai rétablissant le cycle perturbé. Dans cette formule, quelque chose manquait : dans quel délai pouvons-nous y parvenir ? La planification écologique que nous proposons est l’outil pour répondre à cette question. (...)