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Info en continu : une sensation de partage
#information #infoencontinu
Article mis en ligne le 21 août 2025
dernière modification le 14 août 2025

Yoan Vérilhac explore la fascination collective pour les médias du type LCI ou BFM, en interrogeant notre rapport émotionnel à l’actualité. Il montre que cette quête d’immédiateté ne relève pas seulement de l’irrationalité ou d’une manipulation, mais d’un besoin profond d’appartenance et de construction collective du présent.

(...) Il est facile de décoder les effets que recherchent les médias mais, pour avoir une idée de ce que les publics ressentent vraiment, il faut refuser de parler à leur place et enquêter concrètement. Cela suppose un protocole subtil qui permette aux gens d’exprimer de manière fidèle ce qui, par nature, résiste à la conscience et au langage : leurs émotions. L’émotion médiatique est donc un objet de connaissance quasi insaisissable, à propos duquel, pourtant, on dispose d’un panel de certitudes à la fois approximatives et très rentables pour critiquer les pratiques journalistiques. (...)

Depuis leur essor, à la fin des années 1990, dans le sillage de Franceinfo (1987) et du modèle américain CNN (1980), les chaînes d’information en continu ont été au cœur des débats sur la dérive sensationnaliste du traitement des faits et la mise en spectacle du débat public. La continuité et l’immédiateté sont ciblées comme des contraintes incompatibles avec un traitement distancé de l’information. Rien n’est plus consensuel que ces reproches, qui n’empêchent pourtant pas une consommation quotidienne de ­nouvelles venant des chaînes de télévision, mais aussi des radios, des réseaux sociaux ou de la presse écrite. Comment comprendre ce paradoxe ? (...)

Savoir ce qui se passe en même temps que tout le monde ne change rien à la matérialité des faits : ils se passent comme ils se passent, sans qu’on puisse rien y faire. Pourquoi alors a-t-on besoin de les connaître tout de suite et en même temps que les autres, si cela ne nous permet pas d’agir ? À quoi correspond ce désir profond qui semble aussi être un devoir civique, à certains égards ?

Plaisir de contact et désir de savoir

Pour décrire ce phénomène, on peut recourir à l’idée de « sensation d’actualité » qu’a développée le sociologue Gabriel Tarde au début du XXe siècle, en faisant remarquer combien un journal qui date d’un mois ne nous touche plus parce qu’il nous informe de faits qui ne sont plus perçus par l’ensemble du public. Cette sensation d’actualité repose d’abord sur le plaisir de contact grégaire : nous aimons être au courant pour être avec et comme tout le monde. Cette sensation repose ensuite sur le plaisir de savoir : nous aimons être au courant parce que savoir des choses est agréable. (...)

ils renforcent un sentiment d’appartenance et alimentent le débat en connaissances, mais ils sont à la source des mouvements d’humeur des masses et de la manipulation. Car il faut accepter que la publicité démocratique soit une pratique toujours tendue entre rationalité et émotion.

Rechercher un rapport immédiat et collectif à l’information publique n’est donc pas une bizarrerie mais la base de la relation au présent en démocratie, et c’est sûrement même ce qui lui a donné sa forme particulière en Occident. Pour cette raison, la première grande révolution médiatique est l’invention du quotidien, qui découle presque mécaniquement du nouveau rapport à l’histoire que la Révolution française a rendu possible. On objectera que les technologies d’information ont progressivement perverti cette donne d’origine en augmentant toujours plus l’immédiateté des informations, favorisant ainsi la consommation toujours plus grande de nouvelles intensifiées par l’émotion. (...)

Laisser LCI ou BFM causer « en fond » est un régime très ordinaire de consommation de ces chaînes (dans les maisons, les bars, les salles de sport…), tout à l’opposé d’une surstimulation hypnotique. Or c’est là peut-être que s’illustre le plus nettement le fait que les médias sont, au plus simple, des extensions publiques des bavardages privés, non seulement dans leurs fonctions profondes (parler de tout et de rien simplement pour le plaisir d’être ensemble) mais encore dans leurs formes et leurs dispositifs (des échanges où les excès sont conventionnels et sans conséquence, où les thèmes se succèdent sans transition ni hiérarchie mais sans que ce soit vécu comme incohérent).

Resituer la pratique contemporaine de l’information continue dans une histoire longue de la culture médiatique ne contredit pas l’utilité des critiques qui visent à réguler les effets des médias sur le corps social, mais aide à penser la complexité des relations entre information et émotion (...)