
En quête de nouveaux modèles, une partie de la presse française a jeté son dévolu sur la première ministre italienne. En construisant le mythe d’une Giorgia Meloni en pleine réussite économique et en effaçant son héritage post-fasciste, elle encourage la bascule vers l’extrême droite.
Le visage dessiné de Giorgia Meloni se détache de la couverture de L’Express où l’on peut aussi lire en lettres capitales : « La femme forte de l’Europe ». Et cette question aux airs innocents : « La France doit-elle s’en inspirer ? » À l’intérieur de l’hebdomadaire jadis porte-étendard de la bourgeoisie progressiste, le point d’interrogation a disparu et l’éditorial signé par le directeur de la rédaction ne souffre aucune ambiguïté : « Empêtrée dans une impasse budgétaire, la France devrait s’inspirer de l’exemple italien, efficace et rassurant. »
Le numéro de L’Express consacré à la présidente du Conseil italien vient s’ajouter à la longue liste des articles parus récemment dans une partie de la presse française pour louer le « pragmatisme » (Le Point) et le « talent d’équilibriste » (L’Opinion) de la cheffe de file de Fratelli d’Italia (FdI), parti d’extrême droite au pouvoir depuis trois ans dans la péninsule. Des points de vue qui accompagnent le récit que Giorgia Meloni tente d’imposer au reste de l’Europe, dont elle entend effectivement prendre le leadership. (...)
Dans un message vidéo adressé en français, samedi 20 septembre, au public d’un événement organisé par son alliée Marion Maréchal, eurodéputée et présidente du mouvement Identité Libertés, Giorgia Meloni s’est ainsi érigée en modèle de « la droite qui gagne » – le nom donné à l’événement en question. « Nous sommes partout dans le monde prêts à assumer la responsabilité gouvernementale », a-t-elle déclaré, en mettant en avant « les résultats obtenus » par son propre gouvernement.
Et d’égrener : « Un record absolu d’emploi, les comptes publics en ordre, une inflation au plus bas, une diminution de 60 % des flux d’immigration illégale, un record pour nos exportations commerciales, et la centralité de l’Italie sur la scène internationale. » La réalité est évidemment bien différente de ce discours léché, efficace et rassurant, qui séduit la droite française. Car en y regardant de plus près, les vantardises de la cheffe du gouvernement italien masquent une tout autre réalité.
Mensonges et faux-semblants économiques
Un taux d’emploi record ? Effectivement, selon l’Institut national de statistique italien, le taux d’emploi en Italie se situe à 62,8 % de la population en âge de travailler, un niveau record. Mais ce que le récit de Giorgia Meloni ne dit pas, c’est que ce taux reste le plus faible de l’Union européenne (UE). (...)
L’immigration illégale abaissée de 60 % ? C’est en grande partie parce que Giorgia Meloni a lancé un vaste programme de légalisation, avec 500 000 titres de séjour distribués pour faire face aux problèmes démographiques du pays, qui a un des taux de natalité les plus bas d’Europe occidentale. Sur les cinq premiers mois de 2025, la population italienne a baissé de 14 000 habitant·es, mais le solde naturel – l’écart entre les naissances et les décès – est négatif de 140 000 personnes. L’Italie ne peut donc se passer d’immigration, sauf à se vider rapidement de sa population.
Les exportations record ? Sur ce sujet, Giorgia Meloni gagne le point, mais est-ce vraiment le fruit de sa politique ? Le modèle économique italien repose depuis toujours sur les exportations liées au maintien d’un tissu industriel solide, qui jusqu’ici n’a pas été directement soumis à la concurrence chinoise, comme c’est le cas en Allemagne. En juillet, les livraisons à l’étranger de l’Italie ont progressé de 6,9 % sur un an en volume et la péninsule est devenue en 2024 la quatrième puissance exportatrice du monde. La France, fortement désindustrialisée depuis les années 1990, ne peut guère rivaliser. (...)
Clairement, les deux pays sont en stagnation, mais la gestion de Giorgia Meloni n’est pas plus efficace que celle d’Emmanuel Macron. Pourquoi voit-on dès lors fleurir autant de titres sur la « reprise » de l’économie italienne ? Outre l’arrière-pensée politique, c’est aussi le fruit d’une illusion d’optique.
La croissance italienne a fortement accéléré en 2021 et 2022, durant le mandat de Mario Draghi, sous l’effet d’une mesure appelée le « superbonus » qui subventionnait la rénovation énergétique des bâtiments. Le secteur de la construction a alors connu une forte croissance. Et c’est pourquoi, depuis la fin de 2019, la croissance italienne est légèrement plus forte que celle de la France (+ 6,2 % contre + 5,1 %). Mais Giorgia Meloni a supprimé le superbonus à son arrivée au pouvoir.
Giorgia Meloni revient de fait aux vieilles recettes des années 1990 et 2000 qui ont conduit l’Italie à la stagnation : une austérité sévère destinée à dégager un excédent primaire, c’est-à-dire hors service de la dette, qui pèse lourdement sur la conjoncture.
Bien sûr, si le seul critère de la politique économique est le déficit budgétaire – comme c’est le cas par exemple pour les agences de notation telles que Fitch, qui a relevé la note de l’Italie et abaissé celle de la France –, Giorgia Meloni peut apparaître comme une référence. Mais cela ne dit rien, ni des problèmes de la France ni de ceux de l’Italie. On se retrouve donc en face d’une falsification de la réalité construite pour imposer l’idée d’un « modèle Meloni ». (...)
Au pouvoir, la cheffe de file de Fratelli d’Italia poursuit l’héritage du parti post-fasciste dont elle est issue.
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En France, le surgissement du récit pro-méloniste dans la presse de droite semble préparer le terrain à un scénario de ce type, en tendant à favoriser une sorte de mouvement d’opinion réclamant une union des droites portant une radicalisation de la gestion du capitalisme. C’est une pièce supplémentaire dans un échiquier qui se met lentement en place et où d’autres, comme par exemple Bernard Arnault, jouent déjà leur rôle. Derrière le cirque médiatique devenu subitement italophile, il y a un sinistre avenir.