
L’économiste Alain Coulombel, membre de la direction des Écologistes, auteur d’un « Petit Traité de la démesure », est un des seuls responsables politiques à plaider sans ambiguïté pour la décroissance. Et à vouloir lui donner un débouché politique concret.
Crise agricole, inondations, engagements ridicules de la COP29 pour les pays du Sud… L’incapacité des politiques publiques à prendre la mesure de la bifurcation nécessaire pour réduire notre empreinte écologique et lutter contre la crise climatique se rappelle à nous chaque jour. Alain Coulombel, économiste et membre du bureau exécutif des Écologistes, est un des rares responsables politiques à plaider clairement pour une rupture avec la croissance illimitée.
La décroissance n’est pour lui ni un slogan ni une idée abstraite. Dans son essai qui vient de paraître Petit Traité de la démesure (Le Bord de l’eau), il s’attache à décloisonner le champ foisonnant de la pensée écologique et celui de la politique partidaire pour alimenter un travail concret sur les politiques publiques. Loin de l’exercice classique du livre politique programmatique ou de témoignage, il prend au sérieux le travail intellectuel et espère ainsi armer son parti d’une orientation qui ne se paye pas de mots, entre la « social-écologie » du Parti socialiste et l’écosocialisme de La France insoumise.
Le Haut-Savoyard, membre de longue date de l’aile gauche des Verts, pense pour ce faire candidater au poste de secrétaire national adjoint chargé du projet, au prochain congrès des Écologistes, en avril 2025. Entretien (...)
Alain Coulombel : Nous sommes entrés depuis une trentaine d’années dans une période transitoire, où toutes les crises – sociale, écologique, politique – s’entremêlent et s’amplifient les unes les autres. Elles ont toutes en commun d’être des manifestations de la démesure ou de la dimension mortifère du capitalisme. (...)
Toutes ont pour point commun de participer à l’avènement d’une nouvelle ère géologique, l’Anthropocène, marquée par l’influence des activités humaines sur les écosystèmes de la planète. Ce régime marqué par l’hubris et le dépassement des limites planétaires est propre à l’avènement du capitalisme. (...)
Il y a eu une accélération. Nous sommes passés au stade de l’hypercapitalisme, un capitalisme de la démesure, comme si nous étions emportés par le vertige de notre puissance techno-scientifique. (...)
Nous avons urgemment besoin, dans le champ de la pensée écolo, de nouveaux concepts susceptibles de répondre aux enjeux planétaires.
C’est le cas notamment des penseurs du vivant ou de la décroissance qui se reconnaissent de près ou de loin dans les réflexions de Bruno Latour ou de Philippe Descola, de la critique du naturalisme comme de la prise en compte des caractéristiques du nouveau régime climatique. Se dégagent de nouvelles perspectives autour de la décroissance. Il est temps de prendre ces problématiques à bras-le-corps et de remiser l’obsession de la croissance au rayon des accessoires inutiles. (...)
Même nous, les Écologistes, nous ne portons pas la décroissance de manière suffisamment volontariste dans le champ du débat politique. Probablement parce qu’on considère que le mot « décroissance » lui-même est un mot qui fait peur. Par prudence, on préfère utiliser le mot de « post-croissance ».
Pourtant, quand on lit le dernier essai de Timothée Parrique, qui travaille sur cette question depuis plusieurs années, la décroissance est la phase transitoire vers laquelle on doit aller très rapidement, pour ensuite préserver un régime stationnaire de post-croissance. Sans une réduction drastique de la production et de la consommation, il n’y a pas de possibilité de réduire notre empreinte écologique. Nous devons prendre conscience de l’urgence de la situation et de la trajectoire climatique qui est la nôtre, nous conduisant vers un réchauffement de plus de 3 degrés à la fin du siècle. (...)
Et je ne parle même pas de la gauche classique, où ce champ-là n’est absolument pas abordé : l’écosocialisme ou la social-écologie tels que définis par les sociaux-démocrates n’engagent absolument pas vers un régime de décroissance. Quant au programme du Nouveau Front populaire (NFP), il n’aborde pas ces sujets, c’est un programme keynésianiste vert.
Il n’y a que des micropartis, des revues spécialisées ou des personnalités comme Delphine Batho qui portent la décroissance. Les partis politiques ont tort d’être aussi prudents, car une partie de la population française y est tout à fait sensible. (...)
Les propositions concrètes de politiques publiques manquent dans le débat. C’est un travail de fond qu’il faudrait engager, et c’est ce vers quoi j’aimerais que mon parti s’oriente dans les années qui viennent. (...)
Ce projet peut-il rassembler la gauche ?
Je pense que La France insoumise a davantage la capacité d’entendre les urgences que le Parti socialiste. Les Insoumis ont fait un long chemin autour de l’écosocialisme, alors que les sociaux-démocrates se contentent d’intégrer la matrice écolo de façon secondaire par rapport à leur matrice classique. Les urgences sont pourtant considérables. On est entrés dans une phase d’effondrements successifs et on ne peut pas faire comme si on avait encore trente, quarante ou cinquante ans [devant nous].
Un réchauffement de plus de 3 degrés d’ici à la fin du siècle conduirait à l’inhabitabilité d’une partie de la planète. On ne s’adaptera pas à une situation de ce type. (...)
Il ne faut pas craindre de dramatiser la situation, car si nous ne bifurquons pas dès aujourd’hui, la réalité géophysique se rappellera à nous. Je pense au contraire que ça peut être un élément de mobilisation. (...)
En pleine crise du militantisme, comment rendre l’imaginaire décroissant désirable ?
Il n’y a pas une crise du militantisme ni de l’engagement politique, il y a une crise de l’engagement partidaire. C’est différent. J’étais il y a quinze jours à l’Agora de la décroissance organisée par un mouvement de jeunes qui s’appelle Alter Kapitae : il y avait plus de 500 personnes. Une partie de la jeunesse est très fortement engagée politiquement du côté de la décroissance, mais pas sur un plan partidaire. (...)
Il faut modifier complètement le régime de production et de consommation actuel. Il y a un désir de vivre autrement, de se construire collectivement autrement et de construire du commun autrement dans une partie de la population. Ce sont des ferments de ce que pourrait être, demain, la société décroissante.
Alain Coulombel, Petit Traité de la démesure. Le pire n’est pas toujours sûr, Le Bord de l’eau, 226 p., 18 euros